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Par quel bout prendre le tout dernier et magistral roman de Joyce Caro Oates ? 850 pages qui explorent, fouillent, grattent les tréfonds de l’âme humaine, de la société américaine actuelle.

Les martyrs de nos jours, au contraire du Moyen âge, n’ont plus bonne presse puisqu’on associe le terme aux terroristes djihadistes. Il est pourtant question de religieux, de croyance, de valeurs qui mènent au martyre dans ce roman Un livre de martyrs américains. Il est question de mort et de meurtre.

Luther Dunphy, très croyant, charpentier et couvreur, fait partie des manifestants qui se réunissent chaque jour devant le Centre des femmes de Muskegee Falls, une petite ville de l’Ohio rural. On y pratique entre autres procédures médicales l’avortement. Un jour, il lui semble que Dieu lui envoie un signe et lui intime par ce signe de tuer Gus Voorhees, « médecin avorteur ». Dunphy en est persuadé: il doit agir pour la « défense des sans-défense ». Voorhees est quatrième sur la liste des tueurs d’enfants selon la ligue des soldats de Dieu (ce n'est pas vraiment ce nom là, mais je n'ai pas retrouvé le passage où il la nomme) dont il fait partie.

Alors, un matin, ce père de quatre enfants (une cinquième, né avec de nombreuses déficiences est décédée quelques temps auparavant) prend son fusil et, quand Voorhees apparaît devant le centre des femmes avec le bénévole qui assure sa protection, Dunphy les tue, tous les deux.

De cette (double) déflagration, Joyce Carol Oates (Les chutes, Nulle et Grange gueule, Nous étions les Mulvaney, La fille tatouée) tire un roman d’une profondeur de vue, d’une amplitude comme j’ai rarement lu. Un livre de martyrs américains interroge l’Amérique dans son rapport à la religion, son rapport au droit (divin ou civil) et notamment au droit des femmes, bien entendu. Oates nous montre que chacun à sa manière, Dunphy comme Voorhees, sont des martyrs, chacun de sa cause propre.

Loin de s’arrêter là, Oates aborde au travers de ses personnages aborde la question de la parentalité (les pères abandonnent les enfants pour mener leur combat ; les mères sont désemparées), la transmission, les liens de fraternité.  L’hypocrisie ambiante (les femmes qui prient et crient le jour devant le Centre et qui reviennent à la nuit pour supplier le docteur Voorhees de les aider ; l’aumônier de la prison où Dunphy attend la mort qui lui fait signer des bibles, lui disant les offrir à des jeunes gens, quand, en fait, il les revend pour plusieurs centaines de dollars… et j’en passe.), la peine de mort (la scène de l’injection létale est tout bonnement ahurissante et révoltante) et tellement d’autres thèmes…

La structure du roman alterne les points de vue : Dunphy, la fille de Voorhees, Naomi, et la fille de Dunphy, Dawn. Son inséré également des témoignages de personnes les ayant connus. Il est parfois inconfortable pour le lecteur de pénétrer leurs pensées, torturées, folles, agressives ou désespérées. Mais Un livre de martyrs américains ne les juge jamais. Et si la lectrice que je suis était catastrophée, atterrée, par certaines pensées de Dunphy et sa famille, l’écriture d’Oates m’empêchait de (trop) les juger. Bien au contraire, elle les observe se débattre dans leurs tourments, nous faisant comprendre que chacun porte son enfer personnel.

Il y a une intelligence et une empathie phénoménale dans ce roman. Je n’ai fait qu’effleurer ici toute sa richesse. S’il n’est vraiment pas tendre avec l’être humain, quel qu’il soit, cet ouvrage nous laisse espérer avec cette fin étonnante, mais pourtant logique, qu’il y a tout de même une bougie qui éclaire l’obscurité de notre époque.

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
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