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Première lecture pour moi d'un livre d'Ian Manook, dont j'avais noté il y a des années la série des enquêtes de Yeruldelgger mais sans avoir franchi le pas.

Nouveauté de ma médiathèque, j'étais attirée par le sujet : la diaspora arménienne et le retour de certains en Arménie en 1947 suite à l'appel de Staline. Étonnement (non), l'expérience fut loin d'être agréable.

Dans ce roman qui est le deuxième tome du dyptique sur l'histoire d'Haïganouch et ses soeurs, (premier tome intitulé L'oiseau bleu d'Erzeroum - soit dit en passant, je ne savais pas qu'ils s'agissait d'un deuxième tome...et bien sûr je n'ai pas lu le premier!), au sortir de la seconde guerre mondiale donc. Victimes du génocide perpétré par les Turcs en 1915, Haïganouch et Araxie sont séparées. Araxie et Assina (leur soeur de coeur qui prend le nom d'Haïganouch - on doit connaître les circonstances de ce changement de nom dans le premier tome, il n'est pas expliqué dans le second) vivent en France. Araxie est mariée à Haïgaz, et Assina/Haïganouch est l'épouse d'Agop. Haïganouch, séparée des autres (ce n'est pas expliqué dans le second tome) se trouve en URSS, à Irkoutsk. Elle est aveugle depuis son enfance et le génocide, elle est mariée à un Russe et tous deux vivent sous un faux nom, traqués par Anikine, l'âme damnée de Beria (dirigeant du NKVD, police politique impitoyable qui assassine à tour de bras); ensemble ils ont un fils, Assadour. Le reste de la famille, en France, ne sait même pas si Haïganouch est vivante.

En 1947 donc, Agop répond à l'appel de Staline, rêvant de retrouver ses racines arméniennes lointaines (je comprends qu'en fait il n'a jamais vécu là-bas, mais peut-être plutôt dans l'ancien empire ottoman, mais c'est peut-être inexact). Son meilleur ami Haïgaz, frère de combat, le supplie de ne pas y aller, il n'a pas confiance en Staline et les soviétiques. Agop cependant y croit, comme tant d'Arméniens qui s'entassent sur le bateau affrété par l'URSS au départ de Marseille. Et au début, ils sont comme des invités chouchoutés sur ce grand navire...mais dès qu'ils sont sortis des eaux françaises, l'attitude des soviétiques change en tout point. Arrivés en Arménie, c'est la désillusion d'autant plus cruelle que l'espoir d'une vie paisible étant grand.

Papiers confisqués, Agop et celui qu'il surnomme Zazou, jeune homme venu avec ses parents, se retrouvent pris dans l'enfer du stalinisme. Enviés et jalousés par les Arméniens du cru, qui ne comprennent pas pourquoi ils sont venus, les Akhpars comme on appelle ces gens venus de France ont bien du mal à s'intégrer et à accepter la dureté du régime.

De son côté Haïganouch est victime d'Anikine, qui les a retrouvés, tue son mari et les déporte elle et son fils, mais séparément. Les Arméniens restés en France, quant à eux, sont sans nouvelles d'Agop jusqu'à la photo avec le mont Ararat en arrière plan et Agop qui tient de la main gauche un verre. Détail important et code convenu avec Haïgaz, signe que rien ne va, qu'Agop va tout tenter pour rentrer et qu'il ne faut pas croire un mot de ce qui est écrit dans sa lettre.

Le chant d'Haïganouch est un roman qui se dévore, très bien documenté et qui décrit des destins dans cette communauté arménienne qui fut le premier peuple victime de génocide au XXème siècle. [En écrivant ces mots, je me rends compte à quel point ce siècle fut bien celui des génocides... Arméniens, Ukrainiens, Kazakhs, Tutsi...] C'est pour cette communauté, dont nombre d'entre eux arrivèrent en France après avoir fuit l'empire Ottoman, que fut créé chez nous l'OFPRA qui prend en charge les réfugiés et apatrides.

Ian Manook, qui s'inspire ici de l'histoire de sa propre famille, a su à travers ces trois fil narratifs (les Arméniens en France, Agop en Arménie  et Haïganouch en Russie), restituer l'ambiance des années 40/50/60. L'enfer à ciel ouvert qu'était l'URSS, où la terreur était la règle, où les gens étaient arrêtés et déportés non pas parce qu'ils avaient commis une faute, mais "juste" pour tenir les autres sous la coupe du pouvoir, terrorisés par son arbitraire sanglant. Une terreur qui pouvait parfois être fugitivement éclairée par de la solidarité, un geste qui pouvait vous sauver. L'inquiétude et la vie de la communauté arménienne en France, sans nouvelles de ceux qui étaient partis. 

Ecriture fluide, personnage bien charpentés, contexte historique parfaitement rendu, Ian Manook m'a convaincue. J'ai été rivée aux pages contant l'histoire de cette famille, de cette communauté, de sa tragédie et dans ces moments de bonheur volés au destin. Un coup de coeur.

Je vous propose ci-après une vidéo où Ian Manook parle de cette histoire, de sa famille.

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
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