Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le sud rural, la Caroline du sud et plus exactement le comté de Colleton. Les Wingo sont une famille à part. Et c’est peut-être pour cela que Savannah a une fois de plus tenté de se suicider. Son frère jumeau Tom « monte » à New York pour aider sa psychiatre à comprendre ce qui torture celle qui est devenue une poétesse reconnue.

« Dans les hôpitaux psychiatriques, aussi éclairés et humanistes soient-ils, les clés sont les insignes manifestes du pouvoir, les astérisques métalliques accréditent la liberté et la mobilité. La marche des filles de salle et des infirmières est accompagnée par l’aliénante cacophonie du tintement d’un trousseau de clés contre une cuisse, ponctuation du passage de ceux qui sont libres. Quand on se trouve en situation d’écouter ces clés sans en posséder une, on approche au plus près la compréhension de cette terreur blanche qui scelle le bannissement de tout commerce avec l’humanité. J’ai appris le secret des clés de l’un des poèmes de ma sœur, écrit d’une traite après sont premier internement. […]La catatonie m’est toujours apparue comme la version sublime de la psychose. Le vœu de silence procède d’une certaine intégrité et le renoncement au mouvement à quelque chose de sacré. C’est la forme la plus paisible du drame humain de l’âme brisée, une répétition solennelle et en costume de la mort. J’avais déjà vu ma sœur ne pas bouger et j’affrontai cette fois la situation en vétéran de son incurable silence

Tom va ainsi conter l’histoire d’une famille de crevettiers vivant sur une île dans les marais. Les enfants, Luke l’aîné, puis Savannah et Tom les jumeaux devront apprendre à naviguer dans les méandres des secrets, des colères et des coups face à deux parents qui sont mal assortis (c’est le moins que l’on puisse dire). Tom alterne narration du présent, et souvenirs du passé. L’on suit donc ces enfants grandir entre un père maltraitant, violent, et une mère manipulatrice qui s’invente un passé riche et veut absolument être intégrée au cercle fermé de la bonne société de Colleton. « Il est clair que mon père adorait ma mère, mais pour moi, les raisons pour lesquelles un homme se faisait une obligation de maltraiter ce qu’il aimait le plus au monde restaient opaques. Souvent, ma mère semblait n’avoir que du mépris pour tout ce que représentait mon père, mais ils avaient aussi des instants d’étrange complicité et je surprenais alors un regards tellement chargés de passion et de compréhension mutuelle que je rougissais de l’avoir involontairement partagé avec eux. Je me demandais comment j’en arriverai un jour à aimer une femme et, dans un mélange de plaisir et de terreur, je me disais que quelque part dans ce monde riait et chantait une fillette qui plus tard deviendrait ma femme. »

Ce n’est pourtant pas un roman pleurnichard ou vengeur (on dit qu’il est largement autobiographique). Non. C’est un roman écrit d’une plume tout simplement magique, lyrique, admirable. J’en fais trop ? Conroy aussi par moments, mais que c’est beau, que c’est bon ! On se croirait vivre la terreur de ces gosses, cette fratrie quasi fusionnelle qui lutte pour survivre entre ces parents inadaptés, eux-mêmes en souffrance probablement. Il y a aussi la beauté des marais, la grâce meurtrière d’un tigre du Bengale, ou la magie d’un marsouin blanc sillonnant la baie. Il est parfois difficile de comprendre comment il peut rester de l’amour chez ces enfants pour leurs parents. Des parents qui font et leur font des choses abominables. Et pourtant, il y a des nuances, rien n’est tout blanc ou tout noir.

Sauf peut-être pour Tom. Le narrateur. Le seul qui n’aie jamais de moments de grâce, c’est lui. Il ne se laisse rien passer. Même son père et un peu sa mère ont droit à des moments plus positifs. Une nuance dans la noirceur et la haine parfois. Cet homme, que l’on sent bon, (et bourré d’auto-dérision et d’humour) se flagelle, se déteste. Il manie la blague comme d’autres manieraient l’épée ou le bouclier. Pour abattre ou se défendre. « Je ne pouvais pas entendre l’histoire du père de Susan sans frémir de honte à la pensée du mal que j’avais fait aux femmes de ma propre famille. Aux jours heureux, je dégoulinais d’amour comme une ruche volée suinte de bon miel. Mais dans les moments de douleur et de désarroi, je me retranchais dans une prison d’impénétrable solitude, et les femmes qui tentaient de m’atteindre là – toutes – battaient en retraite, horrifiées, tandis que je leur infligeais blessure sur blessure pour avoir osé m’aimer alors que je savais que mon amour à moi n’était que corruption. J’étais de ces hommes qui tuent leurs femmes avec lenteur. Mon amour était une forme de gangrène qui attaquait les tendres tissus de l’âme. J’avais une sœur qui avait tenté de se tuer et ne voulait pas me voir, une femme qui s’était trouvé un homme amoureux d’elle, des filles qui ne savaient rien de moi, et une mère qui en savait beaucoup trop. »

Entre moments de grâce pure et épisodes terribles, Pat Conroy nous emmène dans un autre temps, d’autres paysages, et nous plonge dans une saga familiale foisonnante et bouleversante.

« Le viol est un crime contre le sommeil et contre la mémoire ; I'image qui en reste s'imprime en négatif irréversible dans la chambre noire de nos rêves. Tout au long de notre vie, ces trois hommes morts, massacrés, nous enseigneraient encore et toujours la permanence, la terrifiante persistance qui accompagne une blessure à 1'anie. Nos corps guériraient, mais nos âmes avaient subi un dommage au-delà de toute réparation. La violence s'enracine profondément dans les coeurs; elle ignore les saisons ; elle est toujours à maturité, toujours prête. »

Dans ces quelques 1000 pages (en voilà un bon pavé pour le défi de Brize !), Conroy aborde une foultitude de thèmes…tout simplement en racontant des vies balafrées, torturées : folie, maltraitance, amour filial (des passages merveilleux à ce sujet !), courage, pauvreté, racisme et j’en passe. On croise des hommes saints et des femmes libres en avance sur leur temps. C’est un roman que l’on ne veut pas finir. Et de fait, les cent dernières pages ont été lues au ralenti.

Je crois que ces personnages resteront longtemps en moi, certains épisodes aussi. Avec le souvenir d’une écriture sublime. (et après un tel billet si vous n’avez pas envie de lire ce bouquin… je sais plus quoi dire !!)

 

The prince of tides - Pat Conroy

Ce billet me permet de participer au mois américain de Titine et donc au défi du pavé de l'été de Brize.

The prince of tides - Pat Conroy
Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :