Je ne veux plus mentir
Quelques mots, si simples et pourtant si lourds de sens. Quelques mots sur une feuille blanche, écrits avec – ironie – le stylo de luxe qu’il lui avait offert pour leur quinze ans de vie commune.
Les yeux perdus dans le vide, aveugles à ce jardin qu’elle aimait tant, elle songeait à ces années avec lui. Lui pour qui elle avait changé, pour enfin capter son attention, il lui semblait une éternité plus tôt. Lui, qu’elle avait admiré, un temps. Lui, le centre de sa vie.
Lui. Elle émit un son entre le ricanement et le sanglot, ne sachant si elle devait se moquer de sa propre bêtise ou s’effondrer totalement, irrémédiablement. Au moment même où elle allait décider de son futur, de le quitter peut-être, il était toujours là.
Secouant la tête de dépit, elle laissa rouler son stylo sur la table. Son tintement quand il vint heurter la théière semblait lui dire : « allez, réveille-toi ! C’est maintenant ou jamais. ».
Oui. Maintenant. Ou jamais.
Elle devait partir. Elle avait cru l’aimer, avait voulu l’aimer. Mais que restait-il aujourd’hui ? Juste une indifférence douloureuse, un agacement perpétuel face à ses manies, ses hobbies. Il était gentil pourtant, rien à redire là-dessus. Mais elle en avait assez de « gentil ». Assez de l’ennui, des sourires forcés lors des soirées entre amis, des repas au seul son de la télévision.
Je ne veux plus mentir, je suis lasse de ma vie avec toi. Lasse de nous.
Elle suspendit son geste, inspirant puis bloquant sa respiration. Que dire maintenant ? S’en tenir là ? Expliquer plus ? Mais expliquer quoi ? Respirant bruyamment, elle imagina son expression si elle écrivait qu’elle partait non pour quelqu’un d’autre, mais juste pour se sentir vivre enfin. Libérée de lui, de son inertie, de son manque d’imagination. Non, elle ne pouvait pas écrire cela. Elle était aussi fautive que lui de ce point de vue. Elle avait subi sans jamais rien dire : subi son emploi, subi les voyages luxueux alors qu’elle aurait voulu voir autre chose que les piscines des hôtels, les circuits touristiques et leurs guides blasés. Mais il aurait fallu qu’elle ait un peu de courage. Courage d’aller vers l’inconnu. Vers la solitude. Trop longtemps elle avait eu peur de vivre seulement pour elle et par elle.
Je veux enfin être moi-même, sans attaches, sans compromis, sans excuses.
Le téléphone la fit sursauter. Le stylo tomba, l’encre éclaboussant la feuille.
- Allô ?
- Madame Ribiet ?
- Oui ?
- C’est l’hôpital, madame, votre mari a eu un grave accident.
Elle raccrocha. L’estomac contracté. La bouche sèche. Le cerveau en ébullition. Son regard se posa sur la feuille de papier.
Maintenant. Ou jamais.
Texte original (hum) écrit dans le cadre des Jeux d'écriture proposés par le blog à 1000 mains, l'idée étant de s'inspirer de la photo proposée, et qui illustre ce billet.
Crédit photo: Thé Citron