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Dopesick, c'est le terme anglophone désignant la douleur liée à la sensation de manque de narcotique. Dopesick, c'est une excellente série, tirée du livre de Beth Macy, sur l'épidémie dramatique (près de 500 000 morts aux Etats-Unis) d'addiction aux opiacés. Dopesick, c'est l'histoire de l'OxyContin, l'anti-douleur vendu aux docteurs comme non addictif, alors que c'est un opiacé, pouvant être prescrit pour des douleurs bénignes comme un simple mal de tête. La famille Sackler, l'une des plus riche des Etats-Unis (très généreuse quand il s'agit de donner de l'argent pour s'acheter une bonne réputation les arts), et son entreprise Purdue Pharma ont engrangé des bénéfices faramineux avec l'OxyContin. Dopesick nous raconte la descente aux enfers de familles, la lutte de procureurs et d'agents de la DEA (l'équivalent de notre agence du médicament). C'est effarant.

J'avais déjà lu sur ce sujet dans l'excellente revue trimestrielle XXI, et vu un documentaire il y a deux ou trois ans. L'Oxycontin a été vendu très agressivement auprès des médecins (avec concours entre les commerciaux pour gagner des voyages aux Bahamas, ou "30 jours de prescription gratuite") en leur disant que cet opiacé était extrêmement peu addictif, en proposant aux médecins des conférences tous frais payés dans des hôtels de luxes avec des "experts" expliquant que la douleur était le grand mal du siècle.  Purdue Pharma lança son médicament dans une région, celle des Appalaches, très touchée par la douleur: beaucoup de mineurs, beaucoup de travailleurs précaires dans des secteurs physiquement difficiles. Des gens souvent pauvres, peu éduqués et faisant une confiance aveugle.

Je passerai sur les publicités vantant sans le nommer les mérites du médicament auprès des patients, sur l'utilisation de soi-disant études, dont les références furent reprises par nombre de journalistes sans jamais vérifier la véracité de l'étude, des graphiques trafiqués, l'invention pure et simple de concept tels que la "breakthrough pain", une douleur qui était "mal traitée" et devait recevoir de plus importantes doses du médicament et, pompom sur la Garonne comme on dit ici: le concept de pseudo-addiction expliquant qu'il n'existe, en fait, pas ou très peu de vrai addiction, juste de la douleur mal traitée. En gros: "prescrivez encore plus!"

Purdue Pharma a envahi, avec des "associations contre la douleur" (en fait créées et/ou financées par la compagnie), tous les secteurs de la santé, y compris bien sûr les hôpitaux. Sans même parler de la DEA, qui fût (est encore?) gangrénée par ses relations avec l'industrie pharmaceutique. Ainsi, dans l'histoire de l'Oxycontin, tout est parti d'un label, créé de toute pièce pour l'OxyContin, faisant de cet opiacé un médicament presque comme un autre. Ce label fut rédigé par un employé qui, trois ans plus tard, trouva un poste fort bien payé chez... Purdue Pharma (375 000$/an tout de même).

Du côté des patients, on assiste à la descente aux enfers de l'addiction, chez des mineurs, des adolescents, mais aussi un docteur (incarné par un fantastique Michael Keaton). Les vies brisées, les parents qui font des overdoses, alors que leur enfant est dans la pièce d'à-côté, voire sur le siège arrière de la voiture.

Dopesick est une série extrêmement bien construite, qui aborde le problème dans son entier. Nous suivons toute une galerie de personnages: la famille Sackler, un ramassis d'égoïstes assoiffés d'(encoreplus)argent, totalement insensible aux drames générés par leur poule aux oeufs d'or médicament, avec notamment Richard Sackler diaboliquement incarné par Michael Stuhlbarg; une agente de la DEA (Rosario Dawson) partie en croisade mais qui se retrouva coincée; des procureurs locaux partis en croisade contre Purdue Pharma; la famille de Betsy qui fut accro; un commercial (Will Poulter) de la marque; enfin le docteur Finnix (Michael Keaton donc). La série revient aussi, dans un épisode avec flashbacks, sur l'origine de la fortune des Sacklers, fondée sur la fraude et le mensonge.
 

La famille Sackler en réunion

La famille Sackler en réunion

D'n point de vue dramatique, Dopesick est très bien construite, faisant des allers-retours entre les années 90 et les années 2000. Beaucoup de pudeur et de retenue pour nous raconter la vie des victimes de cette crise. Les huit épisodes nous tiennent en haleine alors même que l'on connaît la fin (ou du moins la situation aujourd'hui).

Remarquable et édifiant, Dopesick est un signal d'alarme sur la collusion entre industrie et agences de régulation, sur l'utilisation irraisonnée des médicaments. En creux, la série nous parle également de cette Amérique laissée pour compte, qui se raccroche encore et toujours au mythe de sa grandeur, mais s'enfonce irrémédiablement dans la pauvreté et dont tout le monde ou presque se fiche. Je suis quasi sûre que dans ces régions on vote majoritairement Trump & co., et on est anti-vaxx. Comment ne le serait-on pas quand on voit le pouvoir de nuisance de ces compagnies qui jouent littéralement avec notre santé?

Depuis, Purdue Pharma a déposé le bilan, mais il reste la question de la responsabilité personnelle des membres de la famille et du conseil d'administration. Et évidemment, Purdue Pharma n'est pas la seule compagnie à produire ce genre de médicaments, comme le Fentanyl par exemple, massivement trafiqué par les cartels.

J'ai pu voir cette série chez des amis qui ont Disney+ (cela m'a d'ailleurs étonnée que Disney produise cette série), j'espère qu'elle sortira en dvd car elle est d'utilité publique à mon avis, en plus d'être un très bon moment de télévision.

Quelques articles à lire sur le sujet:

L’OxyContin, l’anti-douleur qui a rendu l’Amérique accro

OxyContin maker Purdue Pharma pleads guilty to federal criminal charges (article de 2020)

Empire of pain, rise and fall of the Sackler Family (février 2022)

Tag(s) : #Petit & grand écran, #coups de coeur
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