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Elle s'appelle Irène, elle est archiviste à l'ITS, ou International Tracing Service. Un service d'archives situé à Bad Arolsen en Allemagne, dont le travail est de mettre au jour le destin des victimes du nazisme, grâce à des millions de documents en tout genre.

Irène se voit un jour proposer une nouvelle mission: rendre à leur propriétaire ou à la famille de celui-ci/celle-ci, un objet. Des enquêtes qui ne sont ni faciles techniquement, ni sans risque émotionnel pour celle qui les mène. Nous voilà donc partis sur les traces du propriétaire d'un doudou sur lequel est inscrit un numéro de matricule de déporté; à travers la lettre d'une ancienne gardienne du camp de Ravensbrük, Irène doit retrouver une femme, Wita.

Enquêtes ardues, qui deviennent vite plus qu'une mission : une nécessité impérieuse, un sacerdoce pour Irène. A travers ces destins broyés par le Mal nazi, Gaëlle Nohant nous plonge dans l'horreur de la guerre et de la Shoah, nous parle autant de ce qui s'est passé à l'époque, que de la vie après, la vie aujourd'hui des décennies plus tard. Les vies de Lazar, Wita, Allegra ou Eva témoignent de l'emprise meurtrière de la folie nazie dans toute l'Europe: Allemagne bien sûr, Pologne ou encore Grèce. Pour les survivants, pour les descendants, le travail de l'ITS est fondamental. Il permet d'apporter des réponses ô combien dures à entendre, mais qui libèrent les familles de l'incertitude, ou d'une colère irrépressible à l'origine inconnue.

Dans ce roman, rien n'est occulté, de l'horreur que subirent les Kaninchen, ces résistantes polonaises victimes des expérimentations médicales des nazis, à la difficulté des personnes de nos jours d'entendre la vérité, de l'anti-sémitisme toujours présent en Pologne, de l'absence de véritable dénazification, ou encore du rôle plus que trouble de la Croix-Rouge. Avec Irène, G. Nohant nous parle aussi des non-dits qui existent dans les familles allemandes, du silence qui nie les réalités des responsabilités, avec en toile de fond les attentats terroristes de 2016 (n Allemagne). Il est extrêmement choquant de voir comment la poursuite des nazis a été entravée par l'ITS et la Croix-rouge.

Gaëlle Nohant a fait, pour la rédaction du Bureau d'éclaircissement des destins, un travail colossal de recherche et cela se sent dans la densité de ce roman absolument bouleversant. Elle a su marcher sur une ligne de crête très périlleuse: dire l'horreur sans jamais tomber dans le pathos facile et voyeuriste. Elle a créée des personnages d'une belle épaisseur, d'Irène son personnage principal, à Elvire ou Agata, en passant par Lazar, toutes et tous prennent vie sous nos yeux dans la complexité de leurs destins.

Comme d'habitude, j'ai retrouvé le style de Gaëlle Nohant, mais cette fois-ci j'y ai senti comme une douceur différente, peut-être en contre-point des tragédies qui nous sont contées. C'est peut-être moi qui me fait des idées, mais on sent dans ces pages une écrivaine en empathie avec ses personnages, qui les tiendrait au creux de sa main avec la plus grande délicatesse. Et le plus grand respect.

Le bureau d'éclaircissement des destins est un roman témoignage qui donne la parole aux victimes et à ceux/celles qui leur donnent voix, un appel à ne jamais oublier, à ne jamais taire. Car dans ces silences, d'autres noirceurs se glissent, tout aussi mortifères, et l'horreur renaît. Ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine, dans les territoires occupés par la Russie, en est une preuve sanglante: quand un pays travestit l'Histoire, tait la vérité des faits, toutes les pires horreurs sont possibles.

Sur le sujet, je vous conseille vivement d'écouter le témoignage de Simone Veil dans un podcast de l'INA: Seul l'espoir apaise la douleur, (témoignage publié chez Flammarion).

De l'autre côté de la barrière, si l'on peut dire, il est aussi éclairant (même si révoltant) de regarder le documentaire Des femmes au service du Reich, visible sur Arte, qui évoque ces femmes ayant été au service du nazisme : gardiennes de camps, épouses de SS, médecin (dont celle qui pratiqua des expériences ignobles sur les Polonaises à Ravensbrük), ou encore femmes de colons en Pologne.

Lu dans le cadre des lectures communes sur l'Holocauste organisées par Passage à l'Est et Et si on bouquinait.

 

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
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