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La médiathèque de Toulouse proposait au mois de juillet des lectures autour du thème de l'exil. J'ai choisi cette enquête d'Hélène Coutard, journaliste notamment à Society magazine.

Dans cet ouvrage, elle partage les témoignages de femmes saoudiennes, souvent des jeunes filles qui ont fui leur pays. L'Arabie Saoudite est rien moins qu'une prison à ciel ouvert pour les femmes. Considérées comme mineures toute leur vie, elle dépendent totalement du bon vouloir de leur tuteur: père, frère, oncle...Bref tout mâle de la famille, qu'il soit plus jeune, violent, peu importe: c'est un Mâle, elle n'est qu'une femme.

Dans le contexte d'une société où la réputation est l'alpha et l'omega des relations et de la vie en communauté, autant dire que les femmes n'ont droit à aucune liberté qui pourrait ternir leur réputation et par ricochet celle de leur famille. Car une "mauvaise graine" et c'est toute la famille qui en pâtit: soeurs et frères devienne "in-mariables".

Rapidement, les jeunes filles ont interdiction de jouer avec des garçons y compris de leur propre famille, de se montrer non voilées, de circuler dans la rue non accompagnées par un chaperon etc etc. Au coeur de la famille, l'Homme est tout puissant, et on se sert même des soeurs pour apprendre aux garçons à les dominer, bref à être "de vrais hommes". Les femmes des familles plus riches ne sont pas forcément mieux loties, même si elles peuvent en effet avoir un peu plus de liberté...jusqu'à un certain point.

Ces femmes vivent dès leur puberté dans la hantise d'un mariage arrangé, certaines se réveillent parfois mariées sans en avoir été ne serait-ce que prévenues.

Hélène Coutard, qui a manifestement beaucoup enquêté, nous donne à lire les histoires parfois heureuses, parfois tragiques de ces femmes qui ont tenté de fuir.

Toute la préparation d'abord: puisque les femmes doivent demander la permission pour tout, il est très difficile de s'échapper du pays... passeport, visa etc, tout doit passer par le tuteur. elles ont cependant réussi, grâce à un application de téléphone qui sert à les traquer et les contrôler, à se procurer des passeports (allant les récupérer, cachées sous une abaya, en se faisant passer pour leur mère par exemple). Certaines parviennent à sortir du pays, puis grâce aux réseaux sociaux (elles s'entraident aussi entre fugitives, alimentant les comptes twitter des fugitives pour faire appel aux Nations Unies et organisations internationales), elles font parler d'elles pour obtenir la protection d'une ambassade. C'est ce qui s'est passé pour deux soeurs qui parviennent jusqu'en Géorgie et sont prises en charge par l'ambassade de France qui les exfiltre alors que leur famille est sur leur trace. Certaines sont rattrapées, comme une princesse des Emirats en plein océan indien, ou comme cette autre aux Philippines ou en Malaisie je crois, enlevée dans l'aéroport au vu et au su des touristes de l'aéroport. Celles qui sont rattrapées "disparaissent" souvent des radars. Parfois, elles sont "juste" assignées à résidence, et droguées, d'autres fois on n'entend plus jamais parler d'elles...

Mais comme l'indique le sous-titre du livre, Partir ou mourir en Arabie Saoudite, il arrive un moment où elles n'ont plus le choix. Il s'agit d'une question de survie, aussi bien physique que mentale. Elles sont prêtes à finir à la rue en pays étranger pourvu d'être libre, comme cette jeune femme qui avait réussi à fuir en Grande Bretagne.

Ce qui est frappant aussi dans Les fugitives, au-delà de l'horreur de la situation des femmes, soumises au bon vouloir des hommes et donc esclavagisées, violentées, agressées sexuellement sans pour ainsi dire aucun recours en justice, c'est l'hypocrisie du système saoudien (et plus largement au sein des pays de la péninsule arabique): l'alcool coule à flot dans des fêtes organisées dans le désert, la drogue aussi. Mais, comme raconte une de ces femmes: tant que personne ne le sait à l'extérieur (en gros, tant qu'on ne se fait pas prendre) tout va bien. De même, les familles dont une fille à réussi à fuir mentent à leur entourage : "elle est mariée et a déménagé à l'autre bout du pays", ou bien, "elle fait des études à l'étranger" etc. Le mensonge au moins jusqu'à ce que tous les enfants soit mariés, j'imagine. Hypocrisie, hypocrisie.

Un livre passionnant et terrifiant aussi. Un livre qui parle de courage et de résilience. Ces femmes ont traversé beaucoup d'épreuves, y compris le harcèlement sur les réseaux sociaux quand elles se décident à y apparaître sous leur vrai nom, avec leur visage en photo de profil.

En lisant ce livre, qui dévoile l'ampleur d'un phénomène dont j'avais déjà une petite idée, je me demande comment tant de gens peuvent vouloir aller passer des vacances dans ces pays, comme Dubaï par exemple. Peut-être ces touristes pensent-ils pouvoir échapper à la "rigueur" traditionnaliste des lieux, mais des européens ont déjà fait les frais de cette mentalité: ainsi un touriste écossais, accusé d'avoir frôlé la hanche d'un homme dans un bar a-t-il écopé de 3 mois de prison, ou encore cette cadre française d'une grande entreprise, célibataire, a-t-elle dû faire venir son père de France pour qu'il puisse signer son autorisation de sortie de l'hôpital !

Et ne pensez pas qu'une fois obtenu leur statut de réfugiée, elle soit vraiment libres: certaines ont failli être enlevées, beaucoup ont changé d'identité et ont coupé les ponts avec leur famille et leurs amis.

Une lecture qui prend aux tripes, une remarquable enquête.

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #Mon oeil!, #Histoires de femmes
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