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Delacroix - Orpheline au cimetière
Delacroix - Orpheline au cimetière

La terre cède sous mon poids – celui de ma culpabilité ? – et je tombe.

A chaque fois le même rêve, la rose jaune, la terre, la chute.

Il faut croire que certaines leçons ne se retiennent pas si facilement. Ou alors ne veut-on tout simplement pas les apprendre ? Après J., je m’étais juré de ne plus faire cette même erreur : attendre demain pour dire les choses. Je crois que je t’ai déçu. Jusqu’à la fin. Je me suis déçue aussi. Mais maintenant, il est trop tard. Je ne peux que regretter, maudire ma faiblesse, ma lâcheté.

Est-il possible d’être une « handicapée » des sentiments ? Si oui, je dois l’être. Froide. Inapte à toucher et se laisser toucher. Incapable de dire les choses. D’être finalement honnête. Non que j’aie jamais menti. Pas sur l’essentiel en tout cas. Je t’appelais bien Papa et pourtant nous n’avions aucun chromosome en commun. Rien que 20 ans de vie commune, de lectures d’Arsène Lupin, de disputes, de discussions endiablées sur la politique, de quizz d’histoire autour des petits plats gourmands dont tu avais le secret.

On dit que par beaucoup de points nous nous ressemblions. Signe de métal en astrologie chinoise. Je ne crois pas à ces conneries d’astro-machin-chose. Toi non plus d’ailleurs. Et pourtant, nos avions tant de choses en commun, y compris un sale caractère parfois, à couper et trancher sans faire de détail.

Hear My Prayer, O Lord de Purcell passe en boucle sur la chaîne. Autre point commun. M’entendras-tu ? Parfois je ne m’entends plus moi-même. Toutes ces pensées me submergent, m’étouffent, m’assourdissent. Je suis comme ça. Confinée dans mes remords et mes erreurs. Enchaînée comme Tantale. Pour lui c’était la bouffe. Moi c’est la paix qui n’est qu’à quelques mots de moi. Hors de portée.

Et Dieu sait pourtant que je suis bavarde. Qu’il m’arrive de m’épancher. Une logorrhée qui cependant ne dit que du vide. Mon vide intérieur.

¤

Six mois plus tôt.

La chaleur est suffocante. L’ambiance oppressante. Ils sont tous là, à compter les pièces d’or, les albums de prix, les caisses de grands crus. La valeur d’un homme n’est-elle donc égale qu’à la valeur vénale de ses biens ? Je n’ose le croire, et pourtant. Quelques assiettes pourraient bien déclencher une guerre rangée. D’où je suis, je ne peux apercevoir le cimetière, mais je visualise la terre qui remplit peu à peu la fosse, les fleurs – bouquets funéraires qui là encore disent tant sur ceux qui les envoient, leur mesquinerie ou leur amitié – qui recouvriront le monticule. Cela se finit donc ainsi. Et tu redeviendras poussière. Apparemment, physiologiquement, cela ne se passe pas tout à fait comme cela – d’après Yves, en tout cas. Je n’ai pas envie de savoir en fait.

Je retrouve ces derniers temps ce sentiment – même si réconfortant dans un certain sens – d’être étrangère, abritée derrière une vitre. Je vois, j’entends, mais la vitre me protège. Alors que cela parle, cela persifle et méprise, qui une tranche de pizza, qui un verre de jus de fruit à la main, je reste assise, comme anesthésiée, sur le vieux tabouret de jardin rendu gris par les années passées dehors. Tu avais bien dit qu’il fallait rentrer le mobilier extérieur pendant l’hiver.

Ernestine, ta mère, est comme à son habitude pleine de fiel, toute préoccupée de son propre chagrin, incapable de regarder autre chose que son nombril de femme égoïste. Soutenue par sa fille, une femme au cœur aussi aride et sec que son corps, elle geint et honnit Maman auprès de qui veut bien lui prêter une oreille attentive. Et malheureusement il y en a. D’autres ont eu l’honnêteté de la remettre en place. Ceux-là, elle ne leur parlera plus jamais. C’est qu’elle a la rancune tenace la grand-mère. Ton frère et tes neveux sont déjà partis. A les voir durant la cérémonie, c’est même à se demander pourquoi ils sont venus. Pour avoir la conscience tranquille ?

La maison se vide petit à petit. Il nous faut ranger les vestiges du repas. Les assiettes sales et les serviettes en papiers éparpillées. Peu sont restés pour aider. Toujours les mêmes. Amis qui se comptent sur les doigts de la main. Comme Valérie, toujours fidèle au poste. Une amitié de presque 25 ans maintenant. Oreille et épaule accueillantes. Je sais qu’elle sera là pour Maman quand je repartirai. Je ne peux pas rester ici indéfiniment. Et puis, cela m’épuise. Sentir qu’elle doit se reposer sur moi. Cette responsabilité m’effraie. Elle dit que je suis une fille formidable. Si elle savait.

Demain la pharmacienne viendra chercher le lit médicalisé. Alors que nous ne sommes pas très « photos encadrées exposées », les clichés de toi fleurissent un peu partout, rappel des moments heureux et des derniers temps, alors que l’espoir semblait encore permis.

¤

Je sursaute. Joues et oreiller humides. Encore ce rêve, au moment précis où je vais sombrer dans les bras de Morphée, à peine consciente. Sébastien dort du sommeil du juste, lui. Doucement, je me lève. Le chat ouvre un œil circonspect, mais le referme aussitôt, se renfonce avec délices au creux de la couette.

Je tâtonne pour trouver la porte dans l’obscurité de la chambre, butant sur une chaussure mal rangée. Pendant que la bouilloire fait son office, je reste immobile dans la lumière encore faiblarde de la cuisine. Maudite ampoule économique – au moins cinq bonnes minutes avant d’avoir une luminosité correcte. Je sens le froid du carrelage à travers mes chaussettes. J’aurais dû penser à prendre mes pantoufles. Tant pis. L’eau enfin chaude, je m’installe sur le canapé avec ma tasse de thé et un plaid. Pomme d’amour de chez Damman me réchauffe, mais la télé quant à elle ne parvient pas à me tirer de mes pensées. Mon esprit est comme un récipient percé : j’ai beau le remplir, l’occuper, toujours le vide revient. Ce vide dans lequel je tombe. Le vide de la fosse où repose ton cercueil.

J’aurai une tête à faire peur demain au boulot. Mais pas moyen de retourner au lit. Mon regard erre à travers la pièce et s’arrête sur l’ordinateur. Et si… Les Grecs appelaient bien cela catharsis ?

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