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Je reprends la « plume » après un long arrêt dû à des vacances romaines fort agréables. Pour ce retour, j’ai choisi de participer (pour la troisième fois maintenant,  au jeu du blog A 1000 mains. Il s’agit à chaque fois de s’inspirer d’une photo. Voilà ce que cela donne.

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Elle a les joues rosies. La chaleur probablement. Elle observe son reflet, applique un peu de poudre afin de dissimuler ces rougeurs disgracieuses, se regarde une dernière fois et, d’un claquement satisfait du poudrier, m’indique qu’elle est enfin prête. En voilà une qui n’aura pas mis trop de temps à se préparer. Certaines sont positivement fatigantes ! Et que je te remets en place le chignon, et que je te retouche le rouge à lèvres. Un jour, une demoiselle tirée à quatre épingles a même mis … du parfum ! Pour une photo. Je vous demande un peu !

Notre secrétaire – oui, je l’imagine bien en secrétaire : joli tailleur un rien aguicheur, cils coquettement retroussés et collier de fausses perles – appuie sur le bouton à droite de l’écran – moins fort jeune dame, j’ai compris – et se redresse, buste en avant, un très léger sourire adoucissant ses traits un peu trop marqués pour une femme. Obéissant, je prends les clichés, à intervalle régulier. Le dernier sera un tantinet flou. Encore une qui ne sait pas se tenir immobile plus de 5 secondes. Incroyable. La secrétaire ira raconter à ses amies que décidément, ces photomatons sont parfois de qualité médiocre, et patati et patata. Est-ce ma faute à moi si –

Ah ! Un nouveau client. L’a pas l’air commode celui-ci. L’œil petit et noir, l’épi vengeur et le crâne carré (ou peut-être est-ce la coupe en brosse qui donne cette impression ?). Léchant ses doigts, il tente en vain d’aplatir cette touffe de cheveux rebelle qui lui dessine comme une corne sur la droite de la tête. Il se tord dans tous les sens pour essayer d’en apercevoir l’origine, collant presque son grand nez sur ma vitre, il s’entête à grands coups de paluches à domestiquer l’épi. Rien à faire. Se redressant, l’œil plus noir que jamais, il examine l’image que je lui renvoie. Bien malgré moi, je vous assure. Si j’étais doté d’un peu d’odorat, je suis convaincu que je serai asphyxié par les effluves s’échappant de son costume sale. A vue d’objectif, il n’a pas dû voir le pressing depuis au moins deux mois. Ses épaules voûtées sous le tissu marron contredisent les traits de son visage, figés dans une expression de colère à peine contenue. J’espère que ce n’est pas encore un de ces cinglés qui se mettent à tout casser pour un rien. Mon rideau a déjà été remplacé trois fois cette année, l’écran est ébréché en bas à droite, alors cela suffit, merci bien. Après une dernière tentative, il décide de laisser ses cheveux vivre leur vie de révoltés capillaires, et insère les pièces. Il tente un sourire un rien crispé qui le rend encore plus menaçant. J’ai hâte qu’il s’en aille. Si seulement je pouvais accélérer le processus de développement des photos…

Cela doit faire deux bonnes heures que personne n’est entré dans ma cabine. Je commence à m’ennuyer ferme. Pourtant, cette gare en voit passer des voyageurs, il y en a bien quelques uns dans le tas qui ont besoin de quelques photos, non ?

Deux enfants viennent s’amuser, faisant tourner le tabouret. C’est qu’ils se croient sur un manège les chenapans ! Ils vont faire fuir les clients. Allez, ouste ! Ah – voilà la maman qui passe la tête par l’ouverture de la cabine, soulevant d’un doigt que je devine un rien dégouté le rideau vert. Alors Madame, on ne tient pas ses enfants ? Ah ! Quand la gouvernante n’est plus là pour les tenir, c’est plus la même chose, hein ? Elle se retourne quelques secondes et disparaît de mon chant visuel. Mais pourquoi ne les fait-elle pas sortir, bon sang ? Les gamins sautent de plus belle dans la cabine et sur le tabouret. Oh bon sang, mon tabouret. De retour, la blonde en robe à bretelles fines au cou orné de vraies perles celles-là, se penche me laissant apercevoir un fort joli décolleté…et glisse quelques pièces de monnaie dans la fente à côté de l’écran. Croit-elle vraiment que ces deux garçons vont se tenir immobiles assez longtemps pour que les photos soient de bonnes qualités ? Contre toute attente, Petit Blond numéro Un et Petit Blond numéro Deux se métamorphosent en statues de marbre, un sourire découvrant une dentition tout à la fois aléatoire et « aérée » . Je dois avouer que je suis stupéfait par leur discipline. Finalement, ils ont de bonnes bouilles ces deux-là.

Il est tard, il n’y a plus grand monde dans la gare. En hiver, à cette heure-ci, j’ai le cafard des soirées froides et lugubres, les pas des rares passants résonnant dans la grande gare vide. Mais en cette saison estivale, je suis de bonne humeur, même le soir. L’air de la gare semble presque sain, les moineaux virevoltent de concert avec les hirondelles sous les grandes voutes du hall. Voilà un couple. J’en ai souvent, surtout en cette période (beaucoup sont des touristes je pense), qui viennent se faire tirer le portrait en amoureux à moindre frais. La fille sur les genoux du garçon, parfois l’inverse pour ceux qui préfèrent l’approche humoristique. Certains optent pour des poses d’une ringardise que même moi, du haut de mes 25 ans d’activité, je déplore. Mais que voulez-vous, je ne peux résister devant tant de sentiments. Ceux-ci semblent être dans la moyenne, c’est-à-dire ni la version « on se touche juste avec la main, attention ton épaule est trop près de la mienne », ni « vas-y on fait les clowns, tire la langue, moi je fais le débile ». Elle est rousse, habillée façon bohème, avec une grande robe à fleurs type liberty. Lui, bronzé, porte un bermuda kaki et un polo turquoise. Ils gloussent un peu bêtement, cela doit être leur première fois en photomaton. Une sorte de concrétisation, une mise au grand jour de leur romance. Ah ces jeunes…Il fouille dans ses poches à la recherche de monnaie je suppose. Allons, dépêchons-nous jeune homme, tu ne vas tout de même pas la faire payer ? Eh bien, il était temps. Tiens, il donne le double ? Il aura donc deux séries de quatre. Il s’assoit sur le tabouret, puis se ravisant, se relève et le fait tourner afin de l’abaisser. Bien vu jeune homme, sans cela, ta Dulcinée aurait été « décapitée ». Pas très glamour. Gloussant de plus belle, ils s’installent, elle sur ses genoux, mais il semble qu’ils aient un problème à trouver la bonne position. Je me dis que je vais leur laisser un peu de temps pour s’ajuster. Mais rien à faire, ils gesticulent de plus belle dans l’espace exigu de la cabine, et toujours pas de pose. Je commence à lui trouver un rire un brin agaçant à la Rousse. Elle se tortille sur son Don Juan. Vont-ils enfin se tenir tranquille ? Je ne vais pas pouvoir retenir le déclencheur plus longtemps moi… Mais, mais, que font-ils ? Oh ! Mais, mademoiselle, cachez ce sein… !!! Sous le coup de l’émotion les huit clichés sont partis en rafale, comme un tir de mitraillette…

Le photomaton
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