Attention: billet à l'image du roman: fleuve!!
Quand je me suis lancée, sur la proposition de GeishaNellie, dans la lecture de ce gros pavé russe qui trainait dans ma pal depuis un bout de temps, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Mes seuls essais en littérature russe (La dame de Pique de Pouchkine, apprécié, Le joueur de Dostoïevski - difficile à lire, mais finalement une bien belle découverte, ou Le journal d'un fou de Gogol - détesté de bout en bout) ne me donnaient qu'une toute petite idée de ce que j'allais trouver dans ce livre couronné par le prix Nobel en 1958, rien que ça. Mais je vois que vous frétillez d'impatience, si, si, ne niez pas, donc, au fait.
Iouri Andréievitch Jivago, nous le rencontrons pour la première fois au cimetière où sa mère est enterrée, alors qu'il n'est qu'un petit garçon de neuf/dix ans. Son oncle, un intellectuel, prend sous son aile le jeune orphelin, dont on apprend que le père, ayant ruiné la famille pourtant très riche, s'est suicidé. Nous sommes en 1905, année de la révolution avortée. Avec Jivago, nous allons suivre la Russie et son peuple à travers la guerre de 1914-1918, la révolution de 1917, la guerre civile entre Blancs et Rouges et les années de terreur qui s'ensuivront. Vous avez probablement en tête le film avec Omar Sharif et Julie Christie, si au contraire de moi vous l'avez vu, où domine l'histoire d'amour impossible entre Iouri, devenu médecin, et Larissa Fiodorovna (Lara), femme d'un grand nom de la révolution en Sibérie. Et pourtant, je dirais après ma lecture que cette passion n'est qu'un des aspects, finalement assez anecdotiques, de cette grande fresque qui valut à Pasternak bien des ennuis.
Finalement, les histoires des uns et des autres ne sont là que pour illustrer la folie de ces années, les passions politiques, les tragédies guerrières, l'idéalisme aveugle et entêté, au sein du plus grand pays du monde. Je commencerai d'abord par tous les points négatifs de cette lecture, et je suis au regret de dire qu'il y en a un paquet. D'abord, et cela n'est certainement pas la faute de Boris Pasternak, la traduction française, qui date de 1958, et ensuite mon édition (de la même année) truffée de fautes de frappes, de "doigt" sans "g", de "dans" écrit "sans" et j'en passe. La traduction m'a paru quelque fois approximative, mais ce qui m'a fait me poser beaucoup de question sur ma capacité à comprendre ce qui était écrit dans ces pages, c'est les nombreuses incohérences que j’y ai trouvé. Ainsi, dans une lettre à son mari Iouri, Tonia, alors exilée à Paris, lui écrit dans un paragraphe qu'elle l'aime comme c'est pas possible, et dans le paragraphe suivant, qu'en fait elle ne l'aime plus du tout. Beaucoup de ces incohérences, autant dans les propos des personnages que dans les actions décrites par l'auteur ont gêné ma compréhension, et m’ont même beaucoup agacée. D'autre part, le roman souffre des grandes tirades grandiloquentes et philosophiques typiques de la littérature russe du XIXème. Ca se torture beaucoup l'esprit au pays de Pierre le Grand, c'est moi qui vous le dit! J'ai même fini par ne lire ses passages qu'en diagonale, et vite tourner les pages. Les personnages ne sont pas attachants, pas même Iouri, pourtant le héros, que j'ai trouvé inconsistant, orgueilleux et incapable d'assumer ses responsabilités. Enfin, ma dernière critique va au problème de rythme dont souffre le roman. Il y a comme des trous d'air par moments. L'histoire est en suspension, les personnages tournent en rond et le lecteur s'ennuie ferme.
Mais, parce qu'il y a un mais, c'est aussi (et paradoxalement, au vu de ce que je viens d’énoncer) un roman qui a un souffle. Le souffle des sagas se déroulant sur des années, où des personnages se croisent, se perdent de vue, s'aiment et se déchirent. Où un peuple est en lutte. Façon Guerre et Paix. Pasternak a su rendre à merveille la beauté du pays, sa dureté aussi, sa folie, à l'image de ce peuple lancé dans une course folle pour la liberté et autres idéaux. Il montre dans toute son horreur la guerre fratricide qui déchira le pays, l'exil des bourgeois et nobles, les paysans mourant de faim, les réquisitions, les pillages et massacres perpétrés par les différents camps. C'est dans ces instants que Le Docteur Jivago est un grand roman, pas dans les scènes où Lara et Iouri déblatèrent sur tel ou tel sujet, pas quand Iouri philosophe sur l'Art ou encore l'Histoire. C'est ce souffle presque épique qui m'a fait tenir le coup lors de ces "trous d'air" dont je vous parlais plus haut. Alors, si comme pour Le joueur de Dostoïevski, ce ne fut pas tout le temps évident, j'ai beaucoup aimé cette lecture, malgré tous ces passages laborieux. Et finalement, alors que je viens tout juste de terminer ma lecture par les poèmes de Iouri (certains vraiment magnifiques, d'autres beaucoup moins), je me sens... comment dire... comme vidée. Sensation étrange. Cela faisait tout de même 15 jours que je suivais tous ces personnages. Et si j'ai bataillé dans cette lecture, je la quitte presque à regret.
Il semble donc que comme beaucoup de romans russes de l'époque, Le Docteur Jivago est une bataille, il donne du fil à retordre à son lecteur. Certains en sortent lessivés, déçus, pour d'autres, comme moi ç'aura été une aventure particulière mais non dénuée de saveur. J'espère que j'aurais tout de même éveillé en vous l'envie de découvrir ce roman.
Je vous vois trépigner d'impatience, prêts à vous ruer sur le roman, mais accordez-moi encore quelques minutes pour vous parler contexte de publication du roman. Nous sommes donc en 1957, et après des refus répétés des maisons d'édition soviétiques, c'est en Italie, chez un éditeur communiste (Feltrinelli) (du moins c'est ce que j'ai lu dans une lettre de l'auteur aux autorités soviétiques furieuses du Prix Nobel que Pasternak doit refuser pour protéger ses proches et lui-même) que Le Docteur Jivago est enfin publié. Et je comprends pourquoi. Si Staline est mort en 1953, et la déstalinisation déjà entamée par Khrouchtchev, le roman de Pasternak est bien trop "réaliste" pour les patrons du Politburo et de l'URSS. Pas le réalisme socialiste, non. Le vrai réalisme, celui qui se veut le plus proche de la réalité. Et de ce point de vue, le livre de Pasternak n'est pas plus à la gloire des Partisans que des Blancs. Les exactions des deux parties sont décrites dans le roman. Certains affirment que ce prix Nobel fut un rien manigancé par la CIA, pour déstabiliser l’URSS. Allez savoir.
"Et maintenant, écoutez-moi bien. L'homme présent dans les autres,c 'est cela justement qui est l'âme de l'homme. Voilà ce que vous êtes, voilà ce qu'a respiré ce dont s'est nourrie, ce dont s'est abreuvée votre immortalité, votre vie dans les autres. Et alors? En autrui vous aurez été, en autrui vous serez. Et qu'est-ce que cela peut faire qu'ensuite cela s'appelle un souvenir? Ce sera vous entrée dans la composition du futur." pp; 90-91
"Cependant l'obscurité se faisait rapidement. Dehors on se sentait plus à l'étroit. Les maisons et les palissades s'étaient serrées en tas dans l'obscurité du soir. Du fond des cours les arbres accouraient aux fenêtres, attirés par le feu des lampes." p.173
"Au début de la révolution, on craignait qu'une fois de plus comme en 1905, elle ne fût qu'un bref épisode de l'histoire des classes cultivées [...]. C'est pourquoi on soumettait le peuple à une propagande intense pour tâcher de le révolutionner, de l'agiter [...]. A cette époque, des gens comme le soldat Pamphile Palykh qui, spontanément, haïssaient d'une haine bestiale les intellectuels, les seigneurs et les officiers, étaient un véritable trésor pour les intellectuels de gauche enthousiastes qui leur attachaient un prix considérable. Leur manque d'humanité était présenté comme un miracle de la conscience de classe, leur barbarie comme un modèle de fermeté prolétarienne et d'instinct révolutionnaire. " p. 419
"Ces champs couleur de feu qui paraissaient brûler sans flamme, ces champs muets qui paraissaient crier leur détresse, un ciel immense les entourait de sa froide sérénité, un ciel tourné déjà vers l'hiver, parcouru sans arrêt, comme un visage par des ombres, par de longs nuages de neige, feuilletés, noirs au milieu, blancs sur les bords. [...] Le docteur avait l'impression de voir les champs dans la fièvre et le délire d'une grave maladie, et les forêts dan sla sérénité de la convalescence. La forêt, semblait-il, était habitée par Dieu, tandis que dans les champs serpentait le sourire moqueur du démon" p.557-558
Les avis de GeishaNellie, Karine:), de Kikine.
Une entrée de plus dans le défi Nécrophile de Fashion, mais aussi dans l'année Russe de Pimpi.