Oui, c’est vrai ça, Brice, de quoi tu te mêles ?
En ce jour de la Toussaint, j’ai entendu ce matin parler d’un décret, qui est surtout une future loi, dite loi « Sueur » du nom d’un de ses rapporteurs. Qui va en faire suer plus d’un. Ce décret dispose, en l’absence de volonté expresse du défunt qui se prononcerait sur une crémation avec dispersion de ses cendres ou dépôt d'une urne à un endroit précis (qui ne soit pas la voie publique), que «le principe de liberté d'utilisation des cendres actuellement en vigueur dans notre pays sera beaucoup mieux encadré, sur le modèle de certains de nos voisins européens.», dixit monsieur Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Mais de quoi s’agit-il en fait ? Il s’agit ni plus ni moins de réduire drastiquement la liberté des proches des défunts qui auraient décidé d’une crémation, de disposer des cendres comme ils le souhaitent.
La crémation est une pratique légale en France depuis 1887. 1% des « procédés funéraires » étaient des crémations en 1976, un chiffre qui est aujourd’hui passé à 26%. Actuellement, le statut juridique des cendres est celui de « souvenir de famille ». La dernière réglementation en date est le décret du 20 juillet 1998 et les articles R2213-39 et R2223-9 du code général des collectivités territoriales. Les lieux où l’on peut actuellement déposer les cendres des défunts, sont une sépulture, une case de columbarium, ou alors une urne scellée sur un monument funéraire. Les jardins d’urne comme celui de Lyon, ou encore des cavurnes, c’est-à-dire un petit caveau spécifiquement conçu pour des urnes, qui offre un lieu individuel, à l’opposé du columbarium. Depuis le décret de 1970, on peut également choisir de déposer ou disperser les cendres dans la nature, ou la conservation au domicile des proches. Il y a donc, pour beaucoup, un flou insupportable dans ce cadre juridique.
Pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ? Parce que la future loi va drastiquement limiter la liberté de choix des individus. Si la loi passe, plus moyen de garder l’urne chez soi, d’en garder en pendentif, ou, comme une entreprise le propose, d’en faire un diamant. Il s’agit pour monsieur Hortefeux d’une question de décence, de respect et de dignité. Car, et c’est ce que met en avant notre ministre, la crémation, mais surtout la question des cendres pose un problème : partage des cendres qui donne lieu à de véritables batailles juridiques, urnes vendues lors de vide-greniers, ou laissées dans des décharges…La loi prévoit d’interdire toute appropriation privative des cendres. C’est donc pour notre bien et celui de nos proches qu’il faut désormais déposséder les proches de la décision, lourde de conséquences et chargée d’affect, du devenir des restes des personnes ayant choisi la crémation plutôt que l’enterrement « traditionnel ». Brice, un ami qui vous veut du bien…
Nous sommes le dernier pays d’Europe n’ayant pas de réglementation spécifique concernant les cendres et leur destination. Je ne vois pas pourquoi nous devrions en avoir une. Cette loi voudrait faciliter le deuil, car selon les psychologues, la conservation des cendres au sein du domicile ne permet pas de faire le deuil. Très franchement, je n’approuve pas une telle législation. Si des urnes se retrouvent dans les décharges (j’aimerais avoir des chiffres là-dessus, car quand même, je doute qu’il y en ait tant que cela), ou occasionnent des disputes au sein des famille, qui cela concerne-t-il, si ce n’est les proches eux-mêmes ? Oui c’est douloureux de devoir passer devant le juge pour une telle question, mais les lois sur l’héritage n’empêche pas les héritiers de passer parfois des années dans les tribunaux pour contester les dispositions des défunts….(De plus, il ne s’agit pas de salubrité publique, puisque les cendres ne sont « que » du carbone.) Oui, il est choquant de savoir que des urnes ont été abandonnées. Je ne le cautionne pas, évidemment, mais cela changera-t-il quelque chose que ces urnes, qui auraient été abandonnées, soient dans une case de columbarium que personne ne viendra voir, dont personne ne se souciera ? Il ne s’agira à mon sens que d’un ersatz de respect, un simulacre, qui soulagera la conscience de… de qui au fait ?? Parce que à ce compte-là, il va falloir fliquer toutes les familles où on ne se respecte pas, où on parle mal des morts, etc.
Il me semble que la mort d’un être cher est déjà assez cruelle, sans que l’on ne doive encore être empêché de faire ce qui nous semble le mieux ou le moins douloureux. Qui suis-je pour dire que Untel ne pourra pas faire des cendres de son conjoint, par exemple, un diamant, ou les envoyer dans l’espace (oui, ça existe) ? Ce qui est exact, c'est que nombre de proches se retrouvent complètement dépourvus lorsqu'il s'agit de "disposer" des cendres, car, de fait, très peu d'information circule, et les agents des pompes funèbres ne sont pas assez bien formés. Ce domaine est extrêmement privé. La loi veut sacraliser juridiquement les cendres, ainsi que l’affirme Jean-René Lecerf autre rapporteur au côté de Jean-Pierre Sueur, mais ne sont-elles pas déjà sacrées pour les proches ? Si elles ne le sont pas, qui est X pour dire à Y, « tu dois faire comme ça, car moi je le veux, car c’est ma croyance et/ou mon éthique morale » ?
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