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Dans le cadre des Escapades en Europe de Cléanthe, ce mois d'octobre était consacré au naturalisme en littérature. En me rafraichissant la mémoire sur ce genre, j'ai décidé de relire ce cher Honoré de Balzac. J'ai opté pour des textes courts tirés de ses Etudes de moeurs notamment les Scènes de la vie privée. J'en ai lu quatre. (attention, billet très, très long) 

Dans La femme abandonnée, nous suivons le jeune baron Gaston de Nueil, qu'on envoie à Bayeux suite à des soucis de santé. Mais l'ennui pointe vite le bout de son nez pour ce parisien habitué à mener une vie "active". Un jour il entend parler d'une femme (un peu moins de 30 ans), la vicomtesse de Beauséant (présente dans Le père Goriot) qui est tenue à distance de la bonne société. Après une aventure malheureuse avec le marquis d'Ajuda-Pinto  elle s'était réfugiee dans un château à Courcelles, où elle vit désormais en solitaire. Nueil se fait fort de la rencontrer et de lui déclarer immédiatement son intérêt. Ce qu'elle refuse d'abord, mais il insiste, elle part en Suisse, il la suit (!)... et ils vivent ensemble pendant plusieurs années, avant de revenir en France. Mais les parents de Nueil ont d'autres ambitions pour lui, et ils lui présentent une jeune demoiselle bien dotée mais qui n'a pas inventé l'eau chaude. Vous devinez ce qui arriva...

Cette nouvelle nous parle de la vision étriquée de la vie selon la petite noblesse en province. "C'était d'abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité. [...] Le chef de cette race [...] sans manières, accable tout le monde de sa supériorité nominale; tolère le sous-préfet comme il souffre l'impôt, n'admet aucune des puissances nouvelles créées par le dix-neuvième siècle, et fait observer comme une monstruosité politique, que le premier ministre n'est pas gentilhomme." A travers cette histoire, où pour une fois le personnage principal féminin trouve grâce aux yeux de l'auteur, Balzac montre la médiocrité des ambitions bourgeoises provinciales (mais il fait montre là d'un mépris tout à fait parisien pour la province, car à n'en pas douter, les "bonnes familles" de la capitales auraient toutes fait la même chose face à un fils entiché d'une femme mariée et abandonnée par son amant) face à un amour que l'on sent véritable. Le choix de l'argent et de la position du petit baron lui sera funeste.

Dans Le Bal de Sceaux, Balzac s'attaque à la vanité mal placée, en la personne d'Emilie de Fontaine, dont le père est un noble devenu riche grâce à sa proximité avec le roi. Après avoir refusé avec hauteur nombre de prétendants sous prétexte qu’ils ne sont pas pairs de France, la belle et orgueilleuse Émilie de Fontaine tombe amoureuse d’un mystérieux jeune homme apparu au bal champêtre de Sceaux. Cependant, découvrant que l'homme n'est pas pair, et qui plus est s'avère être dans le commerce, elle coupe court.

Cette nouvelle est passionnante pour deux aspects: d'abord l'aspect historique et politique de l'époque, puisque l'auteur décrit l'ascension du père, royaliste ayant englouti la majeure partie de la fortune familiale dans la lutte contre la Révolution. Contrairement à l'époque de la Révolution où il était resté en France, Fontaine suit le roi dans l'exil lors des Cent jours, et en profite pour se faire bien voir. Il y a gagne position et fortune. Balzac, avec la famille Fontaine, montre l'évolution des nobles et royalistes, leur ouverture au monde de la finance et de l'industrie, s'éloignant des carrières militaires et cléricales, acceptant le jeu de la monarchie constitutionnelle. (Une des filles épouse un banquier, un des fils épouse la fille d'un "commerçant de toiles peintes" etc.) C'est ainsi toute la transformation de la "haute société" que nous observons. Ensuite, c'est l'observation d'une éducation ratée de la dernière fille, Emilie à qui l'on passa tout. Sa beauté et la fortune, conjuguées à un arbre généalogique plutôt prestigieux (même si branche cadette etc) donnèrent une jeune femme à l'orgueil démesurée, hautaine et intransigeante. "En ce moment, la grâce de la jeunesse et le charme des talents cachaient à tous les yeux ces défauts, d'autant plus odieux chez une femme qu'elle ne peut plaire que par le dévouement et l'abnégation." Notez la bonne vieille misogynie au passage. Amoureuse de Maximilien (puisque c'est le nom du jeune homme), Emilie s'en détourne car c'est un simple marchant, riche, certes, mais marchant. Elle s'en mordra les doigts. Par dépit elle épouse son oncle, qui a dépassé la soixantaine, pour son titre de vicomte. "Le compte obtint un peu d'empire sur elle, grâce à un surcroît de prodigalités, genre de consolation qui manque rarement son effet sur les jeunes Parisiennes". Elle reste malgré tout malheureuse. Quelques années plus tard, elle rencontre Maximilien... qui est devenu pair. 

Dans Etude de femme, la plus courte des nouvelles lues, Balzac fait le portrait de la marquise de Listomère. "Toujours en règle avec l'église et avec le monde, elle offre une image du temps présent, qui semble avoir pris le mot de Légalité comme épigraphe. La conduite de la marquise comporte précisément assez de dévotion pour pouvoir arriver sous une nouvelle Maintenon à la sombre piété des derniers jours de Louis XIV, et assez de mondanité pour adopter également les moeurs galantes des premiers jours de ce règne s'il revenait. En ce moment, elle est vertueuse par calcul, ou par goût peut-être. [...] elle croit peut-être aussi servir par sa conduite l'ambition de sa famille. Quelques femmes attendent pour la juger le moment où monsieur de Listomère sera pair de France et où elle aura trente-six ans, époque de la vie où la plupart des femmes s'aperçoivent qu'elles sont dupes des lois sociales".

En quelque phrases, le portrait est dressé. Tout l'enjeu de la nouvelle est bien là : la vertu est-elle feinte, ou réelle? Cette femme a gagné le droit de discuter avec n'importe qui aussi longtemps qu'elle le souhaite : sa conduite irréprochable (comprenez, elle n'a jamais trompé son mari) la protège de toute médisance. Ce "phénix des marquises", comme le narrateur la surnomme, semble parfait. L'intrigue : Eugène de Rastignac, jeune homme très sensé, écrit une lettre d'amour, mais se trompe d'adresse : celle-ci parvient à la marquise. Bien sûr elle oppose son plus grand mépris à cette déclaration... mais se trouve en fait bien déçue quand elle comprend qu'il s'agit vraiment d'une erreur. Alors, est-elle vraiment vertueuse? 

Dernière nouvelle lue, Pierre Grassou, nous emmène loin des amours contrariées ou de la vertu sincère ou intéressée. Dans ce texte, Balzac nous plonge dans le monde de l'art. Pierre Grassou, dit Fougères (du nom de sa commune d'origine) est un peintre médiocre que ses divers maîtres enjoignent à passer à autre chose si il veut survivre. Mais il s'entête, persévère. Un jour il rencontre Elias Magus, un marchand d'art. "[...] il eût observé le frétillement des poils de sa barbe, l'ironie de sa moustache, le mouvement de ses épaules qui annonçait le contentement du Juif de Walter Scott fourbant un chrétien". Fougères est un bon imitateur : il rencontre le succès en plagiant un tableau de Gérard Dow, un peintre hollandais, représentant un homme avant son exécution "Quoique médiocre le tableau eut un prodigieux succès." Le Dauphin lui-même commande des tableaux à Fougères. "Après avoir enfin découvert un filon plein d'or, Grassou de Fougères pratiqua la partie de cette cruelle maxime [copier c'est vivre] à laquelle la société doit ces infâmes médiocrités chargées d'élire aujourd'hui les supériorités dans toutes les classes sociales; [...] Le principe de l'Election, appliqué à tout, est faux, la France en reviendra." Ce peintre dont l'absence de talent était reconnue par tous ses pairs, était élevé au rang de grand peintre par pitié : ""Grassou n'a pas volé son succès, voilà dix ans qu'il pioche pauvre homme!" Cette exclamation était pour la moitié dans les adhésions et les félicitations".

Le brocanteur/marchant d'art Magus commande toutes sortes de tableaux, avec des détails précis... qui sont donc des copies ou des inspirations de tableaux de peintres renommés. Et fait ainsi sa fortune. Un jour, il amène au peintre une famille pour en faire le portrait des membres. Fougères finit par découvrir, à Ville-d'Avray, que les "tableaux de maître" de la collection du père, très riche, sont en fait ses propres tableaux ! Ces bourgeois fort riches mais sans éducation sont en pâmoison devant Fougères "Cette idolâtrie qui caressait exclusivement son amour-propre charma le pauvre Pierre Grassou, si peu accoutumé à recevoir de tels compliments". Au final, notre bon Pierre Grassou, épousera la richissime héritière, et deviendra un peintre renommé. "Ce peintre, bon père et bon époux, ne peut cependant ôter de son coeur une fatale pensée : les artistes se moquent de lui, son nom est un terme de mépris dans les ateliers [...] Mais il travaille toujours et il se porte à l'Académie où il entrera. Puis, vengeance qui lui dilate le coeur! il achète des tableaux aux peintres célèbres quand ils sont gênés, et il remplace les croûtes de la galerie de Ville-d'Avray par de vrais chefs-d'oeuvre, qui ne sont pas de lui".

Pierre Grassou, c'est à travers le monde de l'art, la description d'un monde qui change, et qui au grand dam de Balzac amène l'avènement des médiocres. Balzac semble assez ambivalent concernant Grassou : il n'est pas un mauvais bougre, même si il ne peut s'empêcher de petites mesquineries et ne voit aucun problème à plagier. Quand Balzac nous décrit sur plus d'une page assez condescendante les habitudes d'économie de Grassou, l'épargne patiemment accumulée, et la vie donc sans fantaisie, on ne peut que penser aux perpétuelles dettes de l'auteur. On notera que la bêtise, l'absence de culture, sont pour Balzac à l'origine du problème, mais il y place aussi le "Juif", figure de la duplicité et de l'appât du gain. Sur les rapports de Balzac aux Juifs (lui qui fut proche des Rothschild), vous pouvez lire ce très intéressant article d'Ariette et Roger Pierrot, et si vous le trouvez un ouvrage de référence plus récent : Les Juifs de Balzac de Ketty Kupfer (une note sur cet essai à lire ici). Cette nouvelle fait partie de la série Scènes de la vie parisienne.

J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ces nouvelles de Balzac, sa vision d'un monde en pleine transformation, l'humour dont il fait preuve avec une plume acérée sans concessions. Il peut être cruel mais n'est pas tout à fait sans bonté (limitée certes) pour certains de ses personnages. Je pense continuer à lire ces nouvelles. 

A lire si vous ne l'avez pas lue, la biographie de Balzac par Titiou Lecoq.

"Rien ne nous aide mieux à vivre que la certitude de faire le bonheur d'autrui par notre mort." La femme abandonnée

"Quoique le vieux marin eût souvent dit qu'il connaissait trop sa longitude et sa latitude pour se laisser capturer par une jeune corvette, un beau matin les salons de Paris apprirent que mademoiselle de Fontaine avait épousé le comte de Kergarouët". Le bal de Sceaux

"Oh! avoir les pieds sur la barre polie qui réunit les deux griffons d'un garde-cendre, et penser à ses amours quand on se lève et qu'on est en robe de chambre, est chose si délicieuse, que je regrette infiniment de n'avoir ni maîtresse, ni chenets, ni robe de chambre." Etude de femme

"Quoique les jeunes gens ne soient pas très-avares, ils aiment tous à ajouter une tête de plus à leur médaillier" (c-à-d un nom de plus sur la liste de leurs conquêtes) Etude de femme.

Je m'aperçois que le thème du mois était le ROMAN naturaliste... je ne rentre donc pas vraiment dans le cadre...

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Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
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