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Dans le cadre du Printemps latino chez JelisJeblogue, je me suis plongée dans ce roman de Delphine Grouès se situant dans la cordillère des Andes, au Chili du début du 20ème siècle. Une belle lecture.
Dans le Chili du début du XXe siècle, la famille Silva, respectée et crainte dans le village, est auréolée de mystère. Cecilio, le père, taiseux, les mains dans la terre rebelle. Luisa, la mère, mapuche, qui connaît le pouvoir des chants et des plantes. Esteban, l’aîné, amené à découvrir, ébloui, l’univers des poètes et de l’imprimerie. Joaquín, le cadet téméraire, gardien de troupeaux, mû par l’appel des cimes.
Nombreuses sont leurs épreuves : la colère de la terre, la violence des hommes, la mort, le traumatisme de la guerre. Le clan fait face, soudé par un amour pudique. Dans cette nature indomptable, des cols glacials aux vallons ombrageux, des pâtures verdoyantes aux mines du désert de l’Atacama, chacun chemine vers son destin, sa liberté.
J'ai beaucoup aimé cette plongée dans un univers inconnu pour moi, la ruralité chilienne dans la cordillère des Andes, où l'on monte les bêtes à l'estive, Valparaiso ou encore les mines de salpêtre. Les Silva sont de ceux qui montent à l'estive et qui travaillent la terre du maître. Ils sont les employés d'un propriétaire terrien du type tout puissant, mais qui semble plutôt un homme honnête, ou qui du moins, respecte ses hommes. Ce qui n'est pas le cas de tous. "Il avait permis aux péons de construire de petites maisons d'adobe, un mauvais exemple que déploraient les plus grands propriétaires voisins. Pourquoi les paysans ne pouvaient-ils plus dormir dans la forêt comme toujours?"
Si Esteban, le fils aîné sera introduit aux beauté de la poésie par un curé basque pas franchement traditionnel, Joaquin lui sera plus sanguin. Les deux quitteront, dans des circonstances particulières, le village.
Avec Cordillera, j'ai aussi découvert la guerre du Pacifique que mena le Chili contre la Bolivie et le Pérou pour gagner des terres riches en salpêtre notamment, et à laquelle participa le père, Cécilio. "Il ne dit pas à son fils que les péons qui parvinrent à rejoindre l'hacienda après les charniers étaient presque tous estropiés, des bras, des jambes, des avis amputés".
[La région au cœur des enjeux est le nord du Chili. Le Chili, décidé à repousser ses frontières vers le nord, attaque le Pérou et la Bolivie une première fois en 1836-1839 et une seconde fois en 1879-1883. Le premier conflit vise à empêcher la réunion du Pérou et de la Bolivie au sein d'une confédération, et le second visait à annexer une région riche en salpêtre, qui sert alors à la fabrication des explosifs. À l'issue de cette guerre, le Chili, poussé par les Britanniques, qui favorisent son expansionnisme dans le Pacifique comme ils favorisent l'expansionnisme argentin, conquiert 200 000 km2, dont 125 000 au détriment de la Bolivie, qui perd alors sa façade maritime et se retrouve enclavée dans les Andes. Fin de l'aparté historique.]
A travers la famille Silva, on parle un peu des Mapuches (même si un peu trop succinctement à mon goût), de l'essor de la lutte ouvrière (Esteban, à Valparaiso croise Luis Recabarren, le père du mouvement ouvrier chilien), du massacre d'Iquique, de la dureté terrible du travail dans les mines, où la mortalité était très importante. "l'argent des propriétaires, lui était bien tangible. [...] Il se comptait en tonnes de salpêtre et en corps brisés. Des corps calcinés par la chaux, estropiés par les explosifs, les cuves écumantes, la pierre incandescente, les coups de massue, asphyxiés, nitrate, soufre et acide, aveuglés, brûlures, rayons blancs sur roche blanche, humiliés, bras et pieds rebelles ligotés, attachés à un pic, abandonnés dans la fournaise."
Une plongée captivante, un roman que j'ai dévoré en trois soirées, porté par une belle plume, aux accents parfois poétiques, des personnages attachants. Bref, une bien belle découverte. Je relirai Delphine Grouès, elle a écrit d'autres romans chiliens.