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Mélanie Kerloc'h est psychologue clinicienne, elle a travaillé à l'étranger avec des victimes de guerres, de catastrophes naturelles, des prisonniers, des réfugiés. Elle a exercé de 2017 à 2022 pour la mission France de Médecins sans Frontières auprès des mineurs non accompagnés (MNA) du centre de Pantin qui accueille des jeunes MNA en recours. Ces jeunes sont en effet en attente que la justice statue sur leur sort: sont-ils adultes ou mineurs? En attendant, ils sont des "ni-ni", ni l'un ni l'autre. Ils ne sont ni expulsables comme des adultes ni protégés comme des mineurs.
Dans ce contexte, certains peuvent avoir besoin de suivi psychologique car l'expérience du voyage depuis le pays d'origine et l'incertitude et la violence d'une vie clandestine dans la rue sont potentiellement générateurs de traumatismes. Mais pas toujours.
Je ne suis pas venu ici pour manger des sandwichs expose quatre cas cliniques, anonymisés, et que Léa Renard l'illustratrice met en dessins. Nous découvrons quatre adolescents, venus d'Afrique pour trois d'entre eux, et d'Afghanistan pour le quatrième. A travers ses quatre histoires, les autrices donnent à voir des aspects de la vie de ces mineurs.
Les entretiens se font systématiquement avec un ou une traductrice, car la plupart des mineurs ne parlent que très mal le français.
Pour Aboubacar, c'est le traumatisme lié à la traversée de Gibraltar à l'Espagne, des heures dans un bateau dont le "capitaine" tombe à l'eau, les noyés puis le sauvetage. Depuis, il est hanté par cette expérience de la mort.
Pour Seïba, le départ du pays fait suite à la mort de sa mère sous les coups du père puis aux violences redoublées à l'encontre de ce fils. Mais Seïba a une petite soeur, et il éprouve une grande culpabilité vis-à-vis d'elle, persuadé qu'elle peut mourir sous les coups du père. Pendant le suivi, il rétablit le contact avec la famille. Son ambition a toujours été d'aller à l'école, ce que le père a toujours refusé.
Pour Noor, venu d'Afghanistan, dont le trajet jusqu'en France a pris une année, l'angoisse de ne pas savoir ce que sont devenus ses proches, dont il fut séparé pendant le trajet est une immense source d'angoisse et de douleur.
Pour Tahirou, qui a fui après la mort de sa mère et face à un père violent, le sentiment de solitude et d'abandon va jusqu'à entraîner des pensées suicidaires. Lui aussi rêve de l'école.
Tous ces jeunes partagent également la détresse générée par la vie dans la rue, le froid, l'insécurité, la violence, la chasse par la police etc.
Un ouvrage poignant qui raconte la violence de ces vies déracinées, confrontées à la solitude et l'incertitude, la violence et le désespoir. Les dessins de Léa Renard, qui symbolise la parole par le fil rouge tout emberlificoté qui finit par devenir une pelote, sont pertinents et expriment bien tout le désarroi que ressentent ces jeunes. Les dessins des cauchemars d'Aboubacar sont impressionnants et permettent d'imaginer la terreur ressentie. De même, j'ai été très touchée par les illustrations concernant Tahirou et son parcours avec cette mère qui disparaît...
Un récit documentaire bouleversant, qui nous rappelle à quel point la santé mentale est un enjeu important et ne doit pas passer après l'aspect social ou juridique, mais bien aller de pair. Mélanie Kerloc'h explique très bien les enjeux ainsi que sa pratique : comment elle a évolué, comment elle l'envisage. A lire !
Vous pouvez aussi regarder un long entretien (1h) avec les deux autrices ici.