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Repéré chez Eva et Patrice en début d'année, Isidor, une vie juive de Shelly Kupferberg est un remarquable récit sur la vie de ce grand-oncle qui naquit dans un shtetl de Galicie (partie de l'Ukraine de l'ouest alors sous domination Austro-hongroise) en 1886, devint immensément riche et pensa jusqu'au bout que son statut très privilégié le protégerait des Nazis. Il n'en fut rien.

Aux côtés d'Isidor (à l'origine Israel) et de sa famille (frères et soeur), son neveu Walter (grand-père de l'autrice), nous plongeons dans l'empire Austro-hongrois dont la capitale, Vienne, était un lieu de culture éblouissant, un rêve pour Isidor et sa fratrie ayant grandi dans l'austérité et la misère du shtetl. Mais ils purent faire des études, et à force de ténacité, ils parvinrent tous, y compris Fejge, qui devint Franzciska, à s'élever dans la société. Isidor étant celui qui réussit le mieux. Il fut en effet Conseiller gouvernemental au Commerce, multi-millionaire, parfaitement assimilé dans la bonne société austro-hongroise puis autrichienne. Très intelligent, doué pour les mathématiques, Isidor travailla comme secrétaire d'abord dans une entreprise du secteur du cuir, dont il devint directeur. Il ne fut pas mobilisé pendant la première guerre mondiale puisque travaillant dans un secteur critique. L'autrice ne cache pas que sa fortune, il la doit notamment à sa position, qui lui permit de bénéficier d'un juteux trafic au marché noir.

Isidor refusa toujours de voir le danger que posaient les nazis. Ce fut l'objet de conversations avec son tailleur et ami Kurt Goldfarb, qui lui pensait que les antisémites ne faisaient aucune distinction entre les Juifs occidentaux (les assimilés) et ceux de l'Est (habitants de shtetl, pauvres, très attachés à l'orthodoxie, s'habillant traditionnellement etc.) Pour les Juifs comme Goldfarb, peut importait le statut social acquis, la fortune et la culture, ils seraient toujours assimilés aux miséreux/crasseux. Pour Isidor, qui ne niait pas le fait antisémite, au fil du temps les antisémites seraient obligés de reconnaître les accomplissements des Juifs, notamment à Vienne où cette communauté avait tant apporté. Et puis l'Empereur Franz-Joseph n'avait-il pas affirmé que ses sujets avaient tous la même place dans son coeur de petit père quelle que fussent leur religion et leur origine? L'identité germanique et supranationale primait selon Isidor, et était donc sa meilleure protection. Ceux qui parlaient de l'altérité juive et du sionisme ne faisaient qu'alimenter l'antisémitisme.

 

Isidor Geller à droite

Isidor Geller à droite

Shelly Kupferberg décrit toute une époque avant et après l'arrivée des nazis, grâce aux lettres des uns et des autres, des archives à Vienne, elle nous fait vivre l'horreur de l'arrivée des nazis au pouvoir, la déflagration de l'Anschluss, et avec elle l'explosion d'une haine qui semblait depuis trop longtemps contenue. Ainsi les lynchages en pleine rue, les guet-apens et les humiliations. Puis, les arrestations. Ainsi Isidor, dénoncé par ses propres employés domestiques, est-il arrêté et battu pour lui extorquer ses biens. Nous observons les destinées de nombreuses personnes : la famille d'Isidor, dont certains arrivent à émigrer, quand d'autres finiront dans les chambres à gaz. On suit les Goldfarb, mais aussi la cantatrice et maîtresse d'Isidor, Ilona von Hajmassy, qui émigra heureusement avant l'arrivée des nazis (aux côtés de celle qui devint ensuite Hedy Lamarr). Nous avons le coeur serré à la lecture du calvaire de la procédure administrative pour émigrer, un dédale de formalités à rendre fou, d'autant plus qu'au fil des semaines, les gens voient leurs voisins disparaître, se suicider etc. On sent l'angoisse de cette horloge invisible qui tourne avec l'incertitude de ce qu'apportera le lendemain.

J'ai lu ce récit d'une traite, ou presque. Shelly Kupferberg retranscrit avec justesse, pudeur et honnêteté ces vies bouleversées, l'atmosphère de celle que les nazis surnommèrent la "Babylone des races", une capitale cosmopolite où la culture la plus brillante a côtoyé la plus vile barbarie. Et remet ainsi l'église au milieu du village : les Autrichiens ont été tout aussi responsables que les Allemands dans la barbarie à l'encontre des non-aryens. 

Un remarquable livre que je vous conseille vivement.

Affiche de propagande nazie pour le référendum sur l'Anschluss

Affiche de propagande nazie pour le référendum sur l'Anschluss

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur, #Ukraine
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