Notre médiathèque organise des ateliers d'écritures trois fois par an. Du moins, elle le faisait. Les bibliothécaires n'ayant plus le temps, ce sont deux adhérentes qui ont repris en main l'atelier, qui dure 1h30. Ce samedi c'est Céline, grande fan de Saint-Exupéry qui l'animait. Nous avions deux exercices d'écriture. L'un d'eux supposait de partir tous d'un même incipit : De mon hublot, j'aperçois... Voici donc mon texte.
De mon hublot, j'aperçois les bâtiments gris et austères. Les rares grandes avenues de cette capitale d'un des pays les plus pauvres du monde.
Gris. Gris clair. Gris sale. Gris marron. Du gris à perte de vue. L'horizon de nos vies grillagées. La poussière en suspension après l'émoi, après l'espoir, et qui retombe irrévocablement. Implacablement. Pellicule fine et asphyxiante, aussi mortelle que les balles de Kalachnikov qui tuèrent tant des nôtres dans les stades, ou dans les rues. La poussière aussi lourde que les stèles de nos tombeaux. Aussi dure que les pierres qui nous lapidèrent.
Grise la poussière. Grises nos vies. Éclaboussées du carmin de notre sang versé avec délectation par nos bourreaux. Sang des vierges. Sang des mères.
Le bruit des réacteurs est doux à mes oreilles. Il chante la liberté. Je me retourne et observe les passages. Leurs visages portent sur les traits des années de souffrances, de peur et de désespoir. Les fronts ridés par le chagrins, les yeux vidés par l'angoisse sans fin. Du gris encore dans les cheveux, même des plus jeunes dans la force de l'âge.
De mon hublot, j'aperçois maintenant les montagnes arides au coeur desquelles la frontière trace l'espoir d'une vie libérée de la terreur. Libérée du gris.
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Miss O. a également produit un texte! Elle a combiné les deux exercices: l'incipit, et s'inspirer d'une image prise au hasard parmi les illustrations du Petit Prince. Voici son texte.
De mon hublot, j’aperçois les rayons du soleil qui me caressent toute la journée. Mes pétales s’ouvrent de joie car dans mon compartiment un trou laisse entrer le soleil. J’aperçois aussi la terre sèche du désert tout chaud et sec et tout jaune. Des fois je vois des oasis avec un peu d’eau et des fois pas du tout. La pluie ne vient pas m’arroser car le trou se ferme, mais on m’arrose de temps en temps. Pas tous les jours, je ne reçois de l’eau que quatre fois par semaine.
Je rêve de venir en France mais le voyage est très long, car l’Egypte est très loin de la France. J’ai aussi très hâte de voir d’autres fleurs en France. J’ai aussi hâte de recevoir la pluie car peut-être je serai vendue et achetée et on me mettra dehors.
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Pour ma part, j'avais pioché le dessin de l'éléphant avalé par un serpent. Je n'avais pas remarqué ce "détail", car d'une part il s'agissait d'une photocopie N/B et je tenais le papier avec mon pouce masquant la tête du serpent...
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Voici mon texte :
Il avait eu peur de la douleur, mais alors qu'il était allongé sur la table matelassée, les sensations s'avéraient finalement tout à fait supportables. Un léger tiraillement, un chatouillis.
Rien comparé à la douleur de l'arrachement qui l'avait amené jusqu'ici. Au années de silence suivant des mois d'échanges intenses. La technologie avait fait des miracles. Quand l'esprit rencontre son égal, s'enivre de l'autre sans jamais le toucher. L'attente fébrile du son signalant un nouveau message. La conversation enflammée entre deux esprits que tout pourrait opposer. La connivence malgré le désaccord, la séduction. Le plaisir de la joute, pensée acérée mais fleuret moucheté. De Kawase Hasui à Picasso, en passant par Hemingway et Tom Cruise; de la bière japonaise à la meilleure recette du papri chaat. Pas de sujet qui ne fasse pétiller les neurones, pas d'opinion inacceptable. Le plaisir toujours renouvelé.
L'aiguille agace sa peau. Elle a atteint une zone plus sensible, où l'os se trouve plus près de la surface. L'animal célèbre pour son extraordinaire mémoire prend forme.
La technologie a permis cette rencontre. Mais par écran interposé, le flot a quand même finit par ralentir, puis se tarir. Pourquoi, il ne le sait pas. Ne le saura probablement jamais.
La peau est protégé par le film plastique, et devra restée cachée des rayons du soleil pendant un mois.
Le tatouage est terminé.
La conversation aussi. Depuis longtemps.
Mais les deux sont gravés dans sa mémoire et dans sa peau à jamais.