
Son mari était « l’âme damnée », selon l’expression consacrée, d’Hitler. Magda Goebbels est une personne proprement effrayante, tout aussi effrayante que son mari Joseph. Elle a participé à l’assassinat de ses enfants avant de se suicider avec lui peu après le « Führer » et sa toute fraîche épouse, Eva Braun.
Dans Ces rêves qu’on piétine, Sébastien Spitzer, lauréat du prix Méditerranée des Lycéens organisé par le Centre Régional des Lettres de Midi-Pyrénées, examine cette femme et les derniers jours dans le fameux bunker dans Berlin.
Il confronte son destin à celui de ses victimes (indirectes certes) : les Juifs massacrés par le régime. Les narrateurs alternent : Richard Friedlander, son père adoptif, qui mourra dans un camp dans l’indifférence totale de sa fille et lui écrit des lettres ; d’autres Juifs, victimes lors des grands déplacements en fin de guerre ; et bien sûr Magda elle-même.
Cette construction appuie un peu plus s’il était besoin sur l’abysse qu’est le Troisième Reich. Un abysse sans fond d’inhumanité, de barbarie. Un puits glaciaire où l’amour peut être un rempart, ou une condamnation. Où une auto-proclamée race supérieure veut eradiquer une partie de la population.
Un excellent documentaire a été diffusé cet hiver sur la télé publique (France 2 je pense, ou Arte) (cette honte de la République). J’avais pu entrevoir le côté quasi-schizophrénique de Magdalena Goebbels, qui fut élevée par un Juif, qui l’adopta et l’aima comme sa propre fille, qui en aima un autre. Le premier elle abjura sans remords, le second fut assassiné en Palestine sur ordre de son Gauleiter de mari. Le savait-elle ou pas ? La question se pose peu quand on sait ce qu’il advint de son père, qui apparemment tenta de la voir…pour immédiatement être déporté.
Cette femme, emblème ultime du Reich et de sa vision de la Mère, qui enfanta deux garçons et cinq filles, les mit en scène tout au long de leur vie (et à leur mort), est morbidement fascinante.
Étant soi-même parent, on conçoit mal comment on peut ainsi devenir une sorte bête assoiffée de reconnaissance, de pouvoir, d’image au point de finir par assassiner ses enfants. Les sacrifiant. Les sauvant.
L’auteur semble s’être abondamment documenté pour ce roman. Les lettres de Friedlander n’ont jamais existé, mais Sébastien Spitzer retranscrit des faits historiques vérifiés. Il imagine l’incompréhension, la colère, l’amertume d’un père répudié parce que Juif. (J’ai valsé avec les faits, dans une danse à deux, main dans la main. Flirter du mieux possible avec le vraisemblable pour imaginer le reste… écrit-il en postface) L’horreur de l’anéantissement voulu, désiré par son propre enfant. Ses lettres sont poignantes. Tout comme les chapitres où nous suivons Ava, petite fille rescapée, née dans un camp et vivante grâce à une sage-femme dont elle porte le nom, comme beaucoup de petites filles sauvées par elle, Stanislawa Leszczynska. Après la mort de sa mère Ava qui sera recueillie par une photographe suivant l’armée américaine, librement inspirée de Lee Miller, célèbre reporter de guerre. Ava qui porte dans une sacoche les lettres de Friedlander et d’autres Juifs des camps…racontant leurs origines, leur calvaire. Pour "tuer de leur mots Magda".
Magda était-elle détraquée ? Folle ? Difficile à dire. Elle était fascinée par Hitler. Elle n’aimait pas son mari, mais le pouvoir de celui-ci.
Un roman absolument remarquable, dérangeant, bouleversant. D’une écriture délicate, c’est-à-dire sans effets de manche ni violons, comme en sourdine derrière les faits, Sébastien Spitzer nous scotche à ce récit, empoigne le lecteur sans état d’âme. Avec un seul but : astiquer les consciences.
Un autre très bon roman sélectionné pour le prix Méditerranée des Lycéens et chroniqué ici: La fille du van de Ludovic Ninet.
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