Après notre séjour à Berlin, j'avais eu une période "achat de livres sur l'Allemagne". Bien sûr, il me fallait ce roman de Hans Fallada, apparemment très connu. Et bien m'en a pris.
Seul dans Berlin relate les vies croisées des habitants d'un immeuble de la rue Jablonski, dans la capitale allemande sous le joug nazi. Il y a les Persicke, terrorisés par leurs fils nazillons en herbe, la vieille Rosenthal dont le mari a "disparu", Herr Fromm le juriste épris de justice ou encore les Quangel, dont l'unique fils vient de mourir au front. Chacun vit/survit/s'épanouit, au choix, sous le règne injuste et arbitraire des chemises brunes. Petites arnaques ou grandes compromissions, tous les habitants ont leur propre prisme de lecture et leurs propres critères pour décider de ce qui est bien ou mal.
Dans un style très clinique, Hans Fallada décortique au microscope toutes ces vies, les réflexions de ces personnages confrontés à une situation où l'arbitraire, la brutalité aveugle font la loi. Où la vérité est une notion bien floue.
Chaque personnage est psychologiquement bien campé, fouillé, et prend vie sous nos yeux parfois ébahis par tant de lâcheté, de vilénie ou de courage. Certains sont clairement des têtes à claques, d'autres sont haïssables ou pathétiques. Fallada a de ce point de vue le grand mérite de ne pas faire des "gentils" des personnages immaculés ou parés de l'auréole des saints. Non, ils ont eux aussi leurs failles, leurs défauts et leurs bassesses.
Anna, Baldur ou Enno, à travers leurs actions, nous donnent à voir ce qu'était le quotidien des berlinois. Et Fallada parvient à montrer ainsi les petits détails de la vie de tous les jours mais également les grands traits d'une dictature. Manipulation, mensonges, peur et terreur institutionnalisées, violence gratuite, mais aussi compromissions, collaboration, regards détournés et résistance obstinée et désespérée face à l'oppression.
Tenu à distance par la plume froide et clinique de l'auteur, qui ne tombe jamais dans la facilité et les violons "tireurs de larmes", le lecteur ne peut cependant qu'être ému par les destins des personnages, brisés par un régime totalitaire véritable rouleau compresseur. Décortiquant impitoyablement les pensées des Otto, Trudel et autres Enno, Fallada nous plonge dans leurs tourments, leurs questionnements et les mécanismes qu'ils mettent en oeuvre pour survivre dans un univers impitoyable.
Pas de grandes envolées lyriques, de héros romantiques, mais un récit lucide, prenant et terriblement réaliste que je vous recommande.
"Quelques civils étaient noyés dans cette foule chamarrée. Ici comme partout dans les rues et dans le usines, les civils ne signifiaient pas grand chose. Le parti était tout, le peuple n'était rien"
"Non que le SS Obergruppenführer Prall fût particulièrement occupé. Ou plutôt si, il était précisément très occupé! Escherich entendait le tintement des verres, le bruit des bouchons qui sautaient, des rires et des cris. Une des nombreuses réunions de haut gradés. Réunions, beuveries, détente, délassement, après les grosses fatigues causées par les gens qu'il fallait torturer et envoyer à la potence"
"Si, tu es un voleur! Tu enlèves des fils à leur mère, des hommes à leurs femme, aussi longtemps que tu tolère qu'on les fusille par milliers chaque jour et que tu ne remues pas le petit doigt pour faire cesser le carnage. Tout cela tu le sais parfaitement, et je me demande si au fond tu n'es pas pire qu'un nazi bon teint. Les nazis sont trop bêtes pour savoir quel crime ils commettent. Mais toi, tu le sais, et pourtant tu ne fais rien pour t'y opposer."