Zweig, auteur que l'on ne présente plus, s'est suicidé en 1942 avec son épouse Charlotte, alors qu'ils étaient exilés au Brésil. Le monde d'hier est une longue réflexion sur le déclin de l'Europe, sur un monde perdu.
D'une plume toujours aussi évocatrice, légère et incisive à la fois, l'auteur d'Amok évoque sa jeunesse dans le vieil empire des Habsbourg, la vénérable monarchie sûre d'elle, baignant dans une prospérité et une sécurité que rien ne semble pouvoir ébranler, encore moins détruire. Même si on sent l'auteur très nostalgique, il ne manque pas cependant de noter les errements et défauts de l'époque: la rigidité morale cachant une prostitution presque institutionnalisée et les maladies sexuelles galopantes, la méfiance presque génétique d'une société vis à vis de sa jeunesse.
Vient la fin d'un monde avec la Première guerre mondiale, déchirement pour un Européen convaincu habitué à voyager partout - sans passeport. Déchirement de voir ses amis français ou belges (Romain Rolland, Renoir, le poète belge Verhaehen) dépeints comme des ennemis barbares dans les journaux autrichiens. Puis vient la paix et le démantèlement de l'empire, et Vienne désormais capitale surdimensionnée d'un minuscule état, en faillite, pauvre où les gens meurent de faim, les étrangers achètent pour une bouchée de pain des immeubles entiers. Mais les années 20 sont aussi une époque de changement artistique, de foisonnement, et Zweig y trouve sa place, rencontrant bientôt le succès. Trop vite pourtant, il constate avec les débuts du fascisme que l'Europe n'est pas à l'abri et craint pour son avenir. La seconde guerre mondiale, Hitler, l'exil, ses livres détruits sont autant de malheurs que doit endurer l'idéaliste.
Évidemment, on peut comprendre, après avoir vécu dans un monde si paisible, qu'une deuxième guerre ait fait basculer l'auteur dans un noir désespoir.
Bien sûr, ce roman passionnant à tout point de vue a ses défauts: ceux d'un livre de mémoires. Zweig oublie un peu vite l'anti-sémitisme rampant qui pénétrait de nombreuses strates de la société viennoise et plus largement européenne dès la fin du 19ème siècle. Je pense notamment au Protocole des sages de Sion. Il oublie aussi, lui qui affirme une confiance totale en sa mémoire pour faire le tri et ne rien oublier, qu'il avait, au début de la première guerre mondiale, écrit des articles profondément nationalistes.
Mais voilà, malgré ces défauts, j'ai été captivée par ce récit, passionnée par l'histoire de Zweig, sa plume m'a transportée dans le temps. A lire absolument!
Les avis de Lilly, Karine et Caro.
Ce livre a été lu pour notre club Lire et Délires qui avait pour thème les biographies et autobiographies.