Après avoir vu, et été un peu déçue il faut bien le dire, par le film d'Eastwood (tout comme l'auteur de ce roman, qui l'explique ici), j'avais envie d'en savoir plus sur le personnage de John Edgar Hoover, qui fut à la tête du FBI des années 20 à sa mort juste avant l'affaire du Watergate. J'ai donc décidé de lire le roman de Marc Dugain qui avait eu un succès certain parmi les blogs lors de sa sortie.
Et je dois dire, que là, je n'ai pas été déçue! Le narrateur est Clyde Tolson, celui qui fut le bras droit de Hoover pendant toute sa carrière, et pour certains, son amant. Au soir de sa vie, Tolson revient sur sa vie aux côtés de Hoover, leur lutte constante pour conserver leur pouvoir, leur emprise sur le monde politique.
C'est une lecture absolument passionnante que propose ici Marc Dugain. Un savant mélange entre faits avérés (l'auteur a manifestement fait un énorme travail de recherche) et de théories que Dugain imagine à partir de ses recherches, rend ce roman de politique-fiction, si l'on peut le qualifier ici, particulièrement intéressant et même réjouissant. Qui ne s'est pas posé la question sur la mort de JFK? Sur celle de Marilyn Monroe? Sur la place des "mobsters", la Mafia, dans la vie politique intérieure des Etats-Unis? Même le lecteur qui n'est pas particulièrement passionné par cette période est rivé aux pages de Dugain. D'une écriture simple, sans formules ronflantes ou pompeuses,mais avec souvent une pointe d'humour acéré bienvenue, l'auteur dépeind près de 50 ans de politique intérieure et extérieure des Etats-Unis, avec en personnage central, innamovible, J. Edgar Hoover. Homme au comportement proche de la schyzophrénie, selon Dugain: homophobe notoire en public, homosexuel en privé.
Il créa le FBI, police fédérale. Mais il fit bien plus que cela puisqu'il mit en place une véritable police politique, un vaste système d'écoutes et d'espions lui permettant de monter des dossiers "secrets" qui à sa mort comprenaient plus de 17 000 pages! "Notre plaisir était de nous glisser dans cette intimité violée pour de nobles raisons et d'assister à la défloration du quant à soi. Nous passions souvent plusieurs heures le soir à écouter des bandes dans un local technique du FBI, comme deux amateurs de films d'auteurs dans un cinéma de quartier. [...] Nous ressentions comme un pouvoir absolu le fait d'en savoir plus sur un individu qu'il n'est près à vous en dire, de l'entendre de sa propre voix s'abandonner à la vérité de ce qu'il est, happé par ses sens et leur inestimable dictature. Pris dans les filets de nos écoutes, personne ne pouvait plus prétendre s'appartenir. Le chemin de l'asservissement des individus au service du bien de la nation nous était grand ouvert".
Dugain laisse entrevoir un personnage implacable, qui fait et défait les hommes politiques, comme McCarthy, Nixon et bien d'autres encore. Un homme qui se prenait pour Dieu le père, drapé dans ses considérations de morale puritaine sudiste. ll voyait le mal partout, et l'absence de morale des hommes politiques était pour lui source de dégoût mais aussi de pouvoir. "Nous vivons dans un pays magnifique, n'est-ce pas Clyde? Dommage que nous devions en permanence lutter contre ces fils de pute qui veulent le foutre en l'air par leur absence de morale".
Anti-communiste enragé, Hoover a été partie prenante dans la mort des époux Rosenberg. La femme étant inculpée et condamnée à mort pour pousser son mari à avouer, alors même qu'Hoover savait qu'elle ne savait rien. Le jusqu'au boutisme de Hoover (et de son bras droit Tolson), ses préjugés ancrés dans une culture du sud ouvertement raciste, homophobe et anti-sémite sont les moteurs de son action. Tolson, qui au cours ses enquêtes sur Bob Kennedy se penche sur Albert Camus, ne comprend rien à l'existentialisme. Pour lui, ce qui est contre l'ordre, indifférent à la religion et à Dieu, est forcément communiste, dégénéré et j'en passe. Cette capacité à ne voir qu'en noir et blanc est proprement effarante.
Moi qui n'ai pas de connaissances très poussées de la période, j'ai découvert un Lyndon Johnson, vice-président de JFK, en tueur, inféodé aux grands lobbys texans, un Robert Kennedy obnubilé par la mafia, quand bien même celle-ci avait aidé à l'élection de son frère etc...
Une lecture passionnante, glaçante, palpitante, qui n'est pas dépourvue d'humour, comme l'épisode où Hoover, contredit par Truman sur le nombre de personnes ayant trahi Jésus Christ, ordonne une enquête... sur ce dernier!
Vous pouvez voir ici une très courte interview de Dugain sur le roman.L'auteur est d'ailleurs en train de préparer un documentaire-fiction sur Hoover.
Les avis d'InColdBlog et d'Emeraude. Convaincus, eux aussi!