La tragédie qu’a vécue l’Algérie dans les années 90 est connue. De même que l’assassinat sauvage des moines de Tibhérine en 1996.
Xavier Beauvois s’attaquait donc, avec ce film, à un sujet sensible. Et de mon point de vue – et celui de beaucoup d’autres – c’est un pari réussi. A tous points de vue.
Le métrage s’ouvre sur un plan qui m’est apparu immédiatement comme une métaphore de la vie de ces moines : on voit un couloir, les moines sortent de leurs chambres et vont à la prière. Le dernier éteint la lumière. Pour moi ce couloir représentait le chemin qu’ils ont choisi. La lumière qui s’éteint, eh bien, je crois que c’est assez clair. A l’instar de ce plan, Beauvois filme avec beaucoup d’élégance et de dignité la vie de ces moines au sein d’une communauté dans laquelle ils sont complètement intégrés, et appréciés.
Beauvois filme le quotidien de ces hommes qui ont choisi le célibat, et une vie simple, humble, paisible. Travaux aux jardins, soins médicaux pour Frère Luc (excellent Michael Lonsdale) etc. Puis, abruptement, l’horreur fait son entrée, quand leur est raconté le meurtre d’une jeune femme qui ne portait pas le voile. Puis, c’est le meurtre de croates sur un chantier à 20 km. Des hommes qu’ils connaissaient. Le danger se rapproche. Enfin, c’est l’arrivée en pleine nuit d’un groupe d’islamistes, qui réclament des médicaments. La peur s’est installée. Elle est palpable, visible. Dans les gestes de tous les instants, jusque dans les prières. Vient alors le temps de la réflexion et du choix : rester ou partir.
Le réalisateur m’a impressionnée par sa maîtrise. C’est un film très écrit, mais qui ne paraît jamais sur-écrit. Beaucoup de symbolisme dans les scènes, les images, mais jamais plombant, jamais maladroit ou "trop". De plus, il a su capter à la fois un groupe, mais aussi des individus. Car le groupe ne nie pas les individualités. Et cela, Beauvois le filme à la perfection. Très belles scènes où les moines discutent du rester ou partir. S’interrogent. Il ne les noie pas dans l’anonymat du groupe, mais fait ressortir le caractère de chacun d’entre eux. Comme la scène surprenante où Lonsdale ironise sur le discours de Frère Christian (Lambert Wilson) et qu’un autre frère lui répond : « Va te faire foutre ».
Autre outil qu’utilise Beauvois pour nous parler de ces individualités, les gros plans. Moi qui n’aime pas cela, car je trouve qu’ils sont trop souvent l’occasion pour les acteurs de forcer sur les mimiques, là, et je pense notamment à la scène du repas au son du Lac des cygnes de Tchaïkovski (un moment de bravoure et d’intense émotion, ni plus, ni moins), la caméra passe d’un moine à un autre, et défilent les émotions, les doutes, les peurs, le bonheur d’être ensemble. La conviction d’avoir enfin fait son choix, en dépit de tout.
Et au final, au-delà d’une question de foi (en l’homme, en dieu), Beauvois nous parle d’hommes. Moines, villageois, islamistes. Qui font des choix. (N’est-ce pas ce que dit Frère Christian au leader des islamistes ? « J’ai le choix ») En leur âme et conscience. Livrent une bataille : en eux-mêmes et contre la barbarie. Magnifique scène de l’hélicoptère survolant le monastère, auquel les moines répondent en chantant.
Heureusement, le film n’est pas dépourvu de traits d’humour. Pas pour soulager l’ambiance, mais pour nous rappeler une fois de plus que, oui, ce sont des hommes. Simplement.
Les acteurs, je l’ai déjà dit sont tous parfaits, jamais dans la surenchère ou le pathos. Beaucoup de dignité, d’humilité.
Un film magnifique, émouvant.
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