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Le Nature Writing est un genre littéraire né aux États-Unis, mêlant observation de la nature et considérations autobiographiques, dans une certaine tradition politico-philosophique qu‘on fait remonter à Henry David Thoreau. Les éditions Gallmeister, , ont fait connaître ce genre en France, s’en faisant une spécialité éditoriale.

Rencontres avec l’Archidruide de John McPhee est le  récit non-fictionnel de la rencontre de McPhee avec David Brower, grand écologiste, vrai pitbull  (dans un sens positif, bien entendu) du mouvement vert aux Etats-Unis. Cet ouvrage nous emmène successivement dans les Montagnes Rocheuses sur les traces de McPhee et Brower avec un géologue employé d’une société minière, puis sur une île de Caroline du Nord qui fut disputée par une richissime famille et un magnat de l’immobilier et enfin sur une rivière dans le Grand Canyon du Colorado. Trois sites, trois prétextes pour réfléchir sur le devenir de l’humanité,  la confrontation des besoins des hommes et des limites de notre environnement, mais surtout de notre mode de croissance.

Rencontres avec l’Archidruide, donc, est l’œuvre du renommé journaliste John McPhee (1931-)  qui s’inscrit totalement dans la ligne du Nature Writing. Il important de mentionner ce fait, car McPhee c’est un des grands noms du journalisme outre-Atlantique, dans la veine des Tom Wolfe et Hunter Thompson. A la différence de ces derniers, il a intégré à son écriture journalistique des techniques de la fiction, et son aptitude à rendre ses personnages vivants, à faire naître devant les yeux des lecteurs des paysages et des émotions, ont rendu ses ouvrages abordables, malgré des sujets parfois ardus.

Quand Rencontres avec l’Archidruide est publié au tout début des années 1970, le mouvement écologiste prend un peu plus d’ampleur, dans la suite de Silent Spring, de Rachel Carlson qui dénonçait dix ans plus tôt les effets dévastateurs du DDT. Les thèses s’affrontent, les préservationnistes qui souhaiteraient que la Nature reste intacte s’opposent aux conservationnistes qui considèrent que l’ont doit préserver la Nature, mais l’envisagent dans un but plus utilitariste. Dans le premier cas, la nature est considérée comme d’essence divine, d’où une volonté farouche de la préserver de l’empreinte de l’Homme. C’est là toute la différence. Celle-ci est illustrée dans chacun des récits de l’ouvrage, mais est particulièrement prégnante dans la première partie, intitulée Une montagne :

-         Ce que vous voulez vous, c’est que toutes les terres restent sauvages, fit Park (le géologue consultant pour une compagnie minière)

-         Non, c’est faux. J’essaie de préserver les quelques deux pour cent de contrées encore sauvages, soutient Brower.

-         Deux pour cent, c’est beaucoup.

-         Deux pour cent des terres sont déjà sous le bitume.

-         Notre différence réside dans le fait qu’à mon avis on ne peut pas stopper le changement : il faut qu’on le dirige. Vous, vous pensez qu’il faut tout arrêter.

-         Je pense qu’il faut revenir en arrière, recycler, recommencer de zéro et repartir du bon pied même si le coût est plus élevé. Au lieu de cela on détruit la montagne.

-         Comment pourrais-t-on abîmer une montagne ? On ne peut pas. Une mine ne peut pas faire de mal à cette terre, pas avec une gestion appropriée.

Quelques pages plus loin, les personnages rencontrent un ancien site minier, jonché de carcasses de voitures, de tôles, de pierres broyées… gigantesque cicatrice sur le flanc de la montagne.

C’est l’un des dialogues mettant aux prises Brower, le superman de l’environnement, à ses « opposants » ou du moins à ceux auxquels il s’oppose. Au fil de ces dialogues, McPhee insère des anecdotes, comme celle du plan Plowshare, qui consistait a faire exploser des montagnes à coup de charge… nucléaire.

McPhee ne cache pas, loin de là les défauts de son archidruide : volontiers mysanthrope, il habite une maison tout ce qu’il y a de plus « consommateur moyen », dans un quartier qui a été gagné sur la forêt aux alentours de la ville… Ca donne un peu l’impression du « fais ce que je dis, pas ce que je fais ». C’est probablement là la force du récit : la rigueur journalistique de son auteur. Manifestement très attaché au personnage de Brower, McPhee n’en reste pas moins lucide, ce qui rend cette lecture d’autant plus intéressante que le lecteur lambda ne se sent pas agressé par une théorie, il ne lui est pas donné à entendre une leçon paternaliste  sur la vie, mais bien le témoignage d’une passion. Celle de l’environnement.

En faisant découvrir des paysages grandioses, en exprimant les craintes, les désirs, les convoitises, McPhee et son archidruide, nous posent, à nous lecteur de 2009, les mêmes questions qui les taraudaient il y a plus de trente ans de cela.

Cet ouvrage, d’une qualité littéraire indéniable, c’est ainsi l’occasion d’une réflexion exempte de toute volonté de culpabilisation sur la société, la consommation, et le triste constat que trente ans plus tard, nous en sommes peu ou prou au même point.

Rencontres avec l’Archidruide a été nominé pour le prestigieux National Book Award. Ce texte emblématique est depuis devenu un véritable classique du NatureWriting.

Je remercie Unik et les Editions Gallmeister* pour cette opportunité de découvrir un grand personnage de l’écologie et de réfléchir…un peu plus !


Rencontres avec l'Archidruire
John McPhee

Gallmeister, 20/08/2009 232 p


* Cet article est ainsi le résultat d'un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des sites de la rentrée littéraire !  Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération. Pour en savoir plus c'est ici.


Pour ceux qui souhaitent lire cet ouvrage (et qui n'ont pas peur des pages cornées - mea culpa: pour ma défense quand j'ai commencé à le lire dans le train, je n'avais rien pour noter les passages intéressants), n'hésitez pas, il serait ravi de partir en voyage!

Tag(s) : #Ma bibliothèque
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