La Petite sale du titre c'est Catherine, la "bonne à tout faire" du domaine Demest. Demest c'est le seigneur du coin (il n'y a pas d'autre mot pour le désigner) qui petit à petit a acquis les terres alentours, arraché les bois pour en faire, à perte de vue, une exploitation dédiée à la betterave sucrière. Demest, devenu riche, a des envies de pouvoir au-delà de son exploitation, il est adjoint au maire. Nous sommes en 1969, mais on pourrait tout aussi bien être au moyen âge. Les villageois sont pour la moitié employés sur son exploitation, il y a aussi les immigrés italiens, logés bien à l'écart de la demeure. Il "fournit" le logement à certains employés, il est bailleur pour beaucoup au village. "Personne ne répond rien. Personne n'a rien à répondre. Ils l'ont tous senti. Demest, comme une main, immense, avide, posée sur la vallée"
Et Catherine dans tout ça? Catherine est silencieuse, les yeux baissés, elle fait ce qu'on lui dit de faire. Tente d'être invisible, inaudible. Elle n'a qu'une demi-journée (le dimanche après midi) de libre dans la semaine. Elle n'est pas sale, comme l'a affirmé avec mépris Mme Demest, elle est juste pauvre. Un jour, alors qu'elle surveille la petite-fille âgée de 2 ans de Demest, cette dernière est enlevée.
Demest étant ce qu'il est, il fait jouer ses relations et deux policiers parisiens viennent donc en province pour aider les gendarmes dans les recherches. Une demande de rançon arrive.
Petite sale est un roman qui se dévore. L'écriture de Louise Mey, que j'affectionne, sait décrire avec brio l'ambiance si particulière de la province de 1969, où Mai 68 n'est qu'à la télé. Ici rien ne semble avoir changé depuis des temps immémoriaux comme le souligne la tenancière du bar/hôtel du village, originaire de l'ouest de la France. L'hiver, le froid qui s'infiltre partout, la réticence à parler en mal de Demest cachant mal le ressentiment voire la haine à l'encontre de cet homme brutal, sans autre intérêt que sa richesse et son pouvoir. Tout concourt à créer une ambiance bien glauque. On presque aussi froid que les policiers parisiens.
Ce que Louise Mey décrit fort bien, c'est le pouvoir économique dans ce qu'il a de plus aliénant pour ceux qui le subissent. Hommes comme femmes. Le joug que fait peser un homme sur toute communauté. "L'empereur n'a rien à dire: sa mémoire est blanche des hommes qu'il emploie, une masse terreuse et corvéable, sans visages ni humanité." Par le truchement des policiers parisiens, personnages apportant un regard extérieur, Mey donne à voir tout cela, sans jamais oublier d'apporter un peu d'humour pour alléger un peu le côté sombre de l'histoire ("Gabriel cherchait le dédain, l'ironie, mais il n'y a que de la moustache"; "C'est terrible ces régions de pluie, ça te donne des escargots. Ils sortent une antenne, te lâchent une bombe, et puis après "enfin c'est ce qui se dit, j'en sais pas plus, c'est pas mes affaires" et ils remballent tout, bien planqués dans leur coquille").
A travers Catherine, mais aussi de manière plus succincte avec sa mère ou Christine, la belle-fille de Demest, nous est donné à constater à quel point être femme à cette époque dans ce contexte social c'est être à divers niveaux la cible des "attentions" masculines non sollicitées, de chantage sexuel, être la poule pondeuse, mais toujours devoir être silencieuse, soumise. Elles sont alors doublement victimes: de la misogynie et du mépris de classe.
J'ai beaucoup aimé cette lecture, dévorée en quelques jours. Louise Mey sait nous faire sentir l'atmosphère pesante, les sentiments sous-jacents. J'ai beaucoup apprécié la fin, une fin éminemment satisfaisante, que l'autrice de son propre aveu a eu énormément de plaisir à écrire. A découvrir!