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Le mois de novembre est dédié au genre épistolaire dans notre médiathèque, et sur le présentoir j'ai choisi cet ouvrage de Marceline Loridan-Ivens, Et tu n'es pas revenu. Le "tu" ici, désigne sont père, Shloime, avec qui elle fut arrêtée en février 1944 et déportée (la mère et le reste de la fratrie (un frère et une soeur) réussirent à se cacher). Emprisonnée successivement à Avignon, Marseille, puis Drancy, pour être ensuite envoyée comme des milliers d'autres Juifs français (n'en déplaise aux adorateurs de Pétain) à Birkenau, quand son père était emprisonné à 3km de là, à Auschwitz. Marceline Loridan-Ivens fut hantée toute sa vie par cette prophétie de son père : "Toi tu reviendras peut-être car tu es jeune, moi je ne reviendrai pas". Il n'était pourtant pas si vieux que cela : la petite quarantaine. Et pourtant, il avait raison. Il n'est pas revenu.

Dans ce cours ouvrage de 110 pages, paru en 2015, l'autrice s'adresse donc à son père, lui racontant sa vie, le camp, la libération, la vie après, imaginant ce qu'il aurait pensé de ceci ou de cela. On n'est pas du tout dans le larmoyant, la style reste exempt de tout misérabilisme, mais l'on sent indéniablement la douleur, le manque qu'a ressenti M. Loridan-Ivens toute sa vie par l'absence de ce père tant aimé. Dont elle ne sut jamais vraiment où il mourut. Il fit comme tous les déportés les grandes marches de la mort à travers l'Europe occupée par les nazis, et la dernière trace que l'on a de lui se trouve au camp de Gross-Rozen, après avoir été à Mathausen.

Dans ce texte, l'autrice revient bien sûr longuement sur la survie au camp, l'horreur des chambres à gaz, du travail d'esclave à casser des cailloux ou trier les possessions des gens que l'on venait d'envoyer à la mort, la solidarité aussi, Mengele, sa rencontre avec Simone Veil ou encore les héroïnes telles que Mala qui résista jusqu'au bout dans une dignité qui force l'admiration. L'obsession des nazis à tuer du Juif "Ils nous comptaient, et nous recomptaient, leur obsession du chiffre encore, tuer du juif même dans la débâcle, voilà ce qui les poussait à vous faire crever sur les routes, plutôt que de vous abandonner dans les camps, là où les Alliés auraient pu te sauver".

Sur la vie après, le retour, Marceline Loridan-Ivens décrit le décalage qu'elle ressent. "Tout le monde évitait de parler des camps autour des tables. Mais les habits de fête n'étaient que des armures. Leurs armures. Je ne croyais pas aux mariages du dimanche, à quelques robes blanches jetées par-dessus les vêtements du Canada, je transportais sur moi ces montagnes d'habits triés là-bas, ces odeurs de chairs brûlées qui ne me quitteraient jamais. Je résistais à leur injonction de vivre. " Elle parle de sa déconnexion d'avec sa mère, puis la fratrie qui s'éparpille mais ne se remet jamais de la disparition du père. Son frère Michel se suicide à l'âge qu'avait son père lorsqu'il est mort. Sa soeur Henriette, ancienne résistante fait de même deux ans après.

C'est l'art et le cinéma qui sauveront Marceline Loridan-Ivens, faire des films fut sa passion, aider les autres également. Elle rencontra deux fois l'amour, mais n'eut jamais d'enfants.

La fin du livre, écrit donc il y a presque 10 ans, a une résonance très forte avec ce qui se passe aujourd'hui. "Je sais maintenant que l'antisémitisme est une donnée fixe, qui vient par vagues avec les tempêtes du monde, les mots, les monstres et les moyens de chaque époque. Les sionistes dont tu étais l'avaient prédit, il ne disparaîtra jamais, il est trop profondément ancré dans les sociétés." Elle parle bien sûr d'Israël, de l'espoir que portait sa création en 1948. Mais "L'Etat juif n'a jamais été accepté par les pays arabes tout autour de lui, ses contours sont flous, explosifs. Et plus ça dure, plus Israël devient suspect, y compris dans les opinions publiques européennes."

Les évènements des temps récents la perturbaient manifestement, et une question restait en suspens pour elle: "Maintenant que la vie se termine, tu penses qu'on a bien fait de revenir des camps?"

Vous pouvez écouter 5 entretiens de l'autrice réalisés en 2012 dans l'émission A voix nue - entretiens avec Marceline Loridan-Ivens, de France Culture.

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