De Manook j'avais découvert récemment Le chant d'Haïganouch, magnifique deuxième tome racontant l'histoire de la diaspora arménienne suite au génocide perpétré par les Turcs. Manook comptait écrire un troisième tome mais Albin Michel n'a pas souhaité donner suite, car il aurait été question des activités terroristes de certaines organisations arméniennes.
Ian Manook (Patrick Manoukian de son vrai nom) aime à se définir comme un nomade culturel, il a énormément voyagé et ses voyages sont l'occasion de déplacer sa plume aux quatre coins de la planète, en changeant même de pseudo suivant l'occasion. Ainsi son pseudo Roy Braverman pour ses romans se déroulant aux Etats-Unis.
Ici, nous sommes dans le grand nord, plus exactement en Islande, où nous suivons la dernière et finale enquête de Kornelius Jakobsson, flic très célèbre mais pas forcément apprécié de ses collègues et encore moins de la hiérarchie (il n'avait pas hésité, dans un précédent tome, à prendre en otage cette dernière). Il n'est d'ailleurs plus policier, mais est rappelé en tant que consultant sur une double enquête qui implique notamment des politiciens islandais et les services secrets américains.
Ce livre est arrivé entre mains à l'occasion de la préparation du festival Les vendanges du polar, à Lisle-sur-Tarn. J'ai en effet animé une table ronde avec Ian Manook et Gérard Coquet, qui écrivent ensemble sous le pseudonyme Page Comann. J'ai donc lu Krummavisur (entre autres romans dont je vous parlerai prochainement) pour préparer cette rencontre.
De fait, je me suis régalée avec ce polar où notre célèbre policier n'a pas la langue dans sa poche, et où ses relations avec les autres (famille, proches, collègues) ne sont pas forcément des plus faciles, tant l'homme est brut de décoffrage. Il enquête sur la mort de trois hommes retrouvés pris dans un glacier, et dont les corps n'apparaissent qu'à la "faveur" du réchauffement climatique qui entraîne la chute d'un énorme pan dudit glacier. Pendant les recherches, lui et le jeune policier Ari Eiriksson nous font découvrir la corruption au sein de la politique locale (et internationale), le rôle de l'Islande dans la guerre froide, ayant délégué sa défense nationale aux Etats-Unis devenant en contre partie le poste avancé de l'armée américaine proche du pôle nord et leur permettant de surveiller l'URSS dans cette zone du monde. Les Etats-Unis qui construisirent Camp Century, une immense base militaire et nucléaire souterraine au Groenland (sous administration danoise) dans le plus grand secret. Un secret qui s'évente avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces qui met au jour la structure de la base.
Parallèlement, son ex Booty mène l'enquête sur le meurtre d'une jeune fille de 15 ans, dont elle capture les meutriers, mais ceux-ci sont assassinés lors de leur transfert par un député. Jakobsson sera amené à mettre son nez dans cette affaire aussi.
Autant dire qu'on ne s'ennuie pas au fil des 430+ pages de Krummavisur. Le roman tire son nom d'un chant traditionnel islandais, le chant du corbeau affamé et gelé que Jakobsson entonne à plusieurs reprises. De fait, l'Islande est plus qu'une toile de fond à ce roman, et l'on découvre ce petit pays de glace et de feu en suivant Jakobsson dans ses déplacements. Le policier est un personnage haut en couleurs, un colosse qui s'entraîne à la salle de force pour s'aérer l'esprit, qui n'a que faire de la hiérarchie et des ordres.
C'est un polar qui mêle des thèmes tels que la géopolitique, la corruption, le réchauffement climatique (un peu). Manook sait parsemer son récit de moments d'humour avec par exemple les proverbes sans queue ni tête que son jeune collègue Eiriksson tient de son grand-père, ou avec l'inspecteur Kommsi (c'est pas comme si il parlait toujours comme ça).
Une lecture divertissante et dépaysante.