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Un ancien combattant de la Grande guerre est chargé de retrouver le soldat Emile Joplain par la mère de celui-ci. Nous sommes à la mi-temps des années 20, et pourtant elle reste persuadée que son fils n'est pas mort.

Notre personnage principal, dont nous ne saurons jamais le nom, part donc en quête de cet Emile Joplain, "beau comme un prince et qui parle comme un poète"... et ce n'est pas sa mère qui le dit, mais celle qu'il a aimé: Lucie, domestique dans la demeure cossue des oncle et tante de Joplain. Lucie l'alsacienne, envoyée en France par ses parents pour qu'elle ait une meilleure vie qu'eux. Lucie et Emile se rencontrent et s'aiment. Quand la guerre éclate, plus de nouvelles... alors Lucie, n'en pouvant plus, va partir à la recherche de son amour.

Le soldat désaccordé est un magnifique roman sur un amour qui défie l'horreur que fut la Première guerre mondiale, sur les traumatismes qu'elle engendra, sur les vies sacrifiées, les amours dévastées. Pour notre héros, qui a perdu une main dès le début de la guerre mais est resté au plus près du front pour être aux côtés de ses camarades, retrouver Joplain et Lucie devient une obsession qui le tiendra pendant des années. Ce n'est que dans les années 30 qu'il trouvera les réponses à ses questions, du moins celles qui concernent les deux amoureux.

Tout au long du roman, nous découvrons leurs vies à tous les trois, leurs espoirs, mais aussi, bien sûr, la réalité de la guerre. A travers ses rencontres dans le cadre de son enquête, on découvre le front, son horreur terrifiante, l'arrière, les médecins, les officiers (bons comme mauvais) etc. Pour notre "détective", cette enquête est aussi l'occasion de se confronter à sa propre vie, lui qui semble rester coincé avec les fantômes de la guerre, alors que d'autres vivent pleinement dans ses folles années 1920. Mais aussi à son amour pour Anna, avec qui il se maria par procuration pendant le conflit. Leur relation, sa peur de la revoir, mutilé qu'il était de corps et d'esprit. "J'aurais dû rentrer quand j'en avais le droit. Quand Anna avait besoin de moi. Il n'y avait pas que la France, ce si beau pays pour lequel nous tombions comme des mouches, qui avait besoin de moi. La vérité, c'est que je n'aurais pas pu rentrer, parce que j'avais peur d'affronter le monde, parce que nous avions appris à nous mentir, à croire qu'il était juste que nous soyons là, et que nous mourrions pour sauver notre patrie. J'ai passé quatre ans sans voir mon Anna. [...] Ma saleté de place est ici. Quatre années. Quatre années à avoir peur de revenir. Et Anna qui me prend dans ses bras sans aucun reproche. Elle avait bien vu les voisins qui revenaient en permission [...] Et moi, jamais.  Nous n'en avons jamais parlé. Elle ne me l'a jamais reproché. Je ne me le suis jamais pardonné."

J'ai énormément aimé ce roman, très beau, très juste. Gilles Marchand a su manier l'humour et la gravité, pour nous parler de cette période si dure, si tragique pour des millions de gens. L'absurdité de la guerre qui fracassa tant de vies. Rédigé à la première personne, d'une langue aux phrases courtes, comme une discussion, ce texte de Gilles Marchand m'a emportée dans cette belle et tragique histoire, qui n'est pas sans rappeler sur certains aspects Un long dimanche de fiançailles (pas lu le roman de Japrisot, mais vu le très beau film de Jeunet).

"Lorsque la porte du wagon s'ouvre, elles sont l'une à côté de l'autre. [Lucie est avec deux infirmières allemandes; elle se trouve en territoire allemand] Le jeune Allemand, censé accompagner deux infirmières à leurs postes de travail, a beau compter et recompter sur ses doigts. Eins, zwei, drei, il y a bien drei femmes, alors que, il en est quasiment certain, elles étaient zwei au début du voyage. A l'instant où il s'apprête à vérifier une nouvelle fois, le ciel se déchire, le tonnerre de l'artillerie fait trembler le sol, des ordres sont hurlés, ça court, ça cavalcade, ça se met au sol. On ne va pas chipoter sur une histoire de zwei drei."

"Pour tout dire, je ne me souviens plus de sa blessure [à Joplain], elle devait pas être bien méchante. M'est avis qu'il voulait se planquer, aller s'adonner aux plaisirs de la chair ou je ne sais quoi. Je lui ai remis un petit coup d'électrochocs histoire de lui faire passer le goût de la romance et de le renvoyer au service de la patrie. ON peut pas dire qu'il ait aimé ça!  Si vous restez un peu pour la journée, je vous ferai une démonstration. Je peux aller chercher un malade, ça fait longtemps que j'ai pas électrocuté quelqu'un, j'ai peur de perdre la main!"

Sur le thème de la Première guerre mondiale, on peut aussi lire: Ceux de 14 de Genevoix (chef d'oeuvre) ou encore La chambre des officiers de Dugain, pour ne citer que ces deux-là.

Tag(s) : #Ma bibliothèque, #coups de coeur
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