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Elle est enfermée "volontaire" dans une chambre , tout en haut de cette maison où le couple va passer les trois prochains mois. Jenny, la domestique s'occupe du bébé.
Cette femme, se cachant de son mari médecin pour écrire, nous conte cet enfermement, et le lent et inexorable glissement dans la folie. Nous sommes aux Etats-Unis, à la fin du 19ème siècle.
Initialement traduit en français sous le titre, fidèle à l'original, Le papier peint jaune, La séquestrée est une des œuvres les plus angoissantes qui m'ait été donné de lire. Nous sommes plongés dans l'esprit de cette femme, qui a accepté cet enfermement pour essayer de guérir. A l'époque, une "thérapie" en vogue pour soigner toutes ces femmes "neurasthéniques" ou "névrosées" était le repos total. Repos du corps, et de l'esprit: couchées, interdites d'avoir aucune activité un tant soit peu intellectuelle, ces femmes sont littéralement séquestrées.
Charlotte Perkins Gilman a vécu cet enfermement, après avoir consulté un éminent et très célèbre médecin car elle était atteinte de mélancolie comme on disait à l'époque. Cette novella fut écrite après qu'elle a décidé que le fameux traitement allait la rendre folle, et qu'il lui fallait absolument écrire. Comme Edith Warthon, sa contemporaine, qui échappa de peu à cet abominable traitement, Charlotte Perkins Gilman a très tôt écrit, dès l'enfance, et en fut empêchée par sa mère. On lui interdisait, comme à la plupart des femmes de l'époque, toute éducation, toute activité intellectuelle.
On ressent intensément le glissement de la séquestrée vers la folie, on est témoin des actes du mari qui la maintient encore et toujours dans sa situation de malade, d'infirme. Le papier peint de la chambre, qui l'obsède et symbolise l'enfermement et la société qui enferme, devient vivant. Derrière des femmes tentent de s'en extirper, des femmes qui rampent et essaient tant bien que mal d'exister dans un monde qui voudrait les réduire à leur plus fondamental rôle: enfanter, tenir le foyer.
Je ne connaissais pas du tout Charlotte Perkins Gilman, qui est l'une des premières féministes américaines, c'est à l'occasion de la braderie de la médiathèque que j'ai acquis ce texte, et j'en suis bien heureuse. (Mais cela m'amène aussi à me poser la question du pourquoi cet ouvrage si important a été sorti du fond...) On lit ce texte avec un profond malaise, tant il nous prend à la gorge. Le désarroi, le désespoir exprimés dans ses lignes disent toute la difficulté (euphémisme) d'être une femme au XIXème siècle aux Etats-Unis. Confinées au seul foyer, elles sont niées dans leur identité, leur singularité, au seul profit des hommes.
La post-face de la traductrice, Diane de Margerie, presque aussi longue que la novella elle-même, est passionnante à lire. Elle nous fait connaître l'autrice, son parcours, et remet l'oeuvre de Charlotte Perkins Gilman dans le contexte intellectuel, social et médical de l'époque. Un monde absolument terrifiant. Ce texte a eu des effets, notamment sur le médecin qui prescrit à Charlotte et tant d'autres cet affreux traitement: des années plus tard, il modifia son approche.
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