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J'écris rarement des billets d'humeur sur ce blog, mais cette actualité m'a fait bondir. Vous en avez peut-être entendu parler: la Cour Suprême aux Etats-Unis a refusé de bloquer une loi (SB8) texane sur l'interdiction d'avorter au-delà de la sixième semaine d’aménorrhée. Pourquoi la sixième: parce qu'il y a signe d'activité cardiaque (alors même que le coeur n'est pas formé - ne me demandez pas, je ne sais pas ce que veut donc dire cette "activité cardiaque"). Bref. Quelle femme sait, à 6 semaines qu'elle est enceinte, à moins de chercher absolument à l'être et donc de surveiller très étroitement son cycle? Personnellement, je ne l'ai su que vers la 8 ème semaine.
Hormis si la vie de la mère est en danger il n'y aura aucune exception: viol, inceste, peut importe. Et quand bien même il n'y aurait pas de violence à l'origine de cette conception: la femme doit pouvoir, au même titre que l'homme être libre de son corps. Cela me met en rage de savoir que des dizaines de milliers de femmes vont se retrouver dans des situations terribles à cause de cette loi.
Mais pourquoi la Cour suprême a-t-elle laissé faire dans la nuit de mercredi à jeudi, dans un avis quasiment non motivé? En gros, les juges estiment à 5 contre 4 (merci Trump) que la nouvelle loi pose des questions de droit tellement nouvelles que la Cour ne peut pas juger pour l'instant...et laisse donc faire en attendant. En attendant quoi? Mais quelles sont donc les raisons qui posent tant problème à la Cour me direz-vous? Eh bien figurez-vous que les sénateurs du Texas ont trouvé une astuce: ce ne sont pas les agents de l'Etat qui vont surveiller l'application de cette loi mais les... citoyens!! Eh oui, vous avez bien lu! Si quelqu'un vous soupçonne de pratiquer des avortement, d'aider une femme à avorter, elle peut porter plainte contre vous! (Notez bien: la femme elle-même ne peut être poursuivie). Et mieux encore : ces gentils délateurs qui ne supportent pas qu'une femme soit libre de maîtriser son corps seront PAYES pour cela! Pas moins de 10.000 dollars. Elle est pas belle la vie au Texas??? (où l'on peut aussi désormais se balader avec une arme en public sans permis). Et la Cour suprême se demande (non, ces cinq juges n'en ont rien à faire, à mon avis ils applaudissent même l'ingéniosité des sénateurs texans) si elle a bien le droit de s'en mêler car peut-être n'a-t-elle pas autorité sur les juges locaux décidant quant à la loi...
Et voilà comment en un coup de cuiller à pot plus de 50 ans de jurisprudence (l'arrêt Roe v. Wade en 1973) sont pour ainsi dire annihilés...sans avoir même statué sur le fond! SI c'est pas magique! Et apparemment, d'autres Etats vont s'engouffrer dans la brèche. Car dans un pays de common law comme les Etats-Unis, au final, la Cour suprême a presque plus de pouvoir que les parlementaires ou le président.
Je lisais récemment, et j'enrage de n'avoir pas noté la référence, qu'un auteur américain expliquait pourquoi les Blancs/Le parti Républicain devaient absolument lutter contre l'avortement. D'ici quelques décennies, les Blancs deviendront une minorité ethnique. Il y avait donc plusieurs solutions pour éviter cela: 1. payer les femmes pour qu'elles aient des enfants (ce que nous appelons chez nous les allocations familiales) mais pour cela il aurait aussi fallu payer les non-Blancs, donc c'était exclu; 2. Avoir recours à plus d'immigration, mais là encore, la majorité des immigrants ne sont pas Blancs, exit donc cette solution-là aussi; 3. comme 60% des avortements concernaient des femmes Blanches, il fallait, pour compenser la faible natalité de cette population, empêcher les avortements. Au-delà des principes religieux, voilà donc quelle serait la raison derrière ces lois.
Le site internet pour la délation a été, et c'est vraiment le seul point de cette histoire qui peut faire sourire, submergé par les fausses déclaration pour le faire planter. Certains internautes ont même rempli plusieurs centaines de formulaires...et j'ai lu des discussions sur Twitter où ils/elles se donnent des astuces comme l'utilisation de VPN etc. Je n'ai pas beaucoup d'espoir, cependant, pour les femmes du Texas, qui vont vivre comme le disent certains sous une version texane des lois des Talibans...
Rappelons-nous cette phrase de Simone de Beauvoir: "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise économique politique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes toutes votre vie". Et quand on voit, en Europe ce qu'il se passe, en France comment des groupes tentent de propager de fausses informations (et la diffusion sur C8 il y a quelques temps d'un infâme film anti-avortement qui diffusent de fausses information était à ce titre incroyable - mais c'est le groupe de Bolloré alors...) il convient de bien garder à l'esprit ce que nous disait Simone.
Pour les anglophones, un très intéressant article sur cette affaire à lire ici. Et cet article sur la partie plus technique/juridique explique très bien les manoeuvres des politiciens et juges texans. A lire aussi ce récit du 31 août, quand une clinique a réalisé le plus de procédures possible avant la date fatidique du 1er septembre, jour de l'entrée en vigueur de la loi SB8.
Enfin, je ne saurais trop vous recommander la lecture du roman de Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains, sur ce sujet ou le visionnage de Vera Drake, un remarquable film de Mike Leigh.