Après un passage dans ses terres du Nord avec L'horizon qui nous manque, Pascal Dessaint revient en terres occitanes pour nous conter l'histoire, vraie, de Jean-Pierre Mazas. Mazas, paysan né à Verfeil en Haute-Garonne en 1847, ayant vécu à Montastruc, mesurait 2,20m (oui, vous avez bien lu) et pesait 160kg. Un colosse, donc.
Qu'advint-il de cet homme littéralement hors-normes, dans ce siècle de grand progrès, de science et de bouleversements politiques? Pascal Dessaint montre une fois de plus son appétence pour "la chose humaine". L'auteur qui s'est fait connaître avec ses polars nous prend par la main pour, à travers l'existence du Géant-de-Montastruc, nous amener à réfléchir sur la singularité, sur ce qu'elle porte en elle de bénédiction ou de malédiction. Un colosse nous parle aussi de condition sociale, de société du spectacle balbutiante.
Il émane de ce récit résultat de longues recherches une certaine tendresse mêlée de mélancolie, face à la destinée de ce colosse, gloire des combats du lutte pendant 8 ans, connu de tout le pays, avant la déchéance d'abord physique, ensuite sociale. On pourrait évidemment tirer des parallèles avec les personnalités à la gloire (ou gloriole) plus ou moins éphémère; avec des médias volontiers dans la surenchère pour vendre, vendre encore; des gros qui s'en prennent aux petits (le "seigneur" local propriétaire de la métairie de Jean-Pierre Mazas lui intenta des procès, alors même que le lutteur n'était plus que l'ombre de lui-même, et que de son temps, il lui rapporta bien plus que ce que pouvait en espérer ledit seigneur). En remettant toujours en contexte la vie de Mazas, par des anecdotes, des rappels de faits historiques politiques, militaires ou sociaux, Dessaint restitue une époque bouillonnante et illustre plus que jamais à quel point l'individu est balloté au coeur des évènements.
Lutteur inébranlable, paysan, phénomène de foire puis curiosité et objet d'étude d'Edouard Brissaud, qui diagnostiquera au surplus du gigantisme une acromégalie, Jean-Pierre Mazas vécut sa vie comme il put. Au soir de sa vie, à peine 50 ans passés, Jean-Pierre Mazas ne mesurait plus qu'1m86, son corps était "difforme". Il mourut d'une crise cardiaque dans le train le ramenant à Toulouse, lieu de ses plus hauts faits de gloire.
On sent dans ce récit ce que l'on avait perçu dans de précédentes lectures de Dessaint: un regard lucide et tendre, bienveillant et engagé. Une lecture qui assurément fait réfléchir.