Joe Sacco, que j'ai lu pour la première fois dans l'excellente (et je pèse mes mots) revue XXI, a réalisé un reportage sous forme de bande dessinée dense, colossal sur la situation des Premières Nations dans les Territoires du Nord-Ouest, au Canada.
Co-édition de XXI et Futuropolis (pour moi gage de sérieux et de grande qualité), Payer la terre est le résultat de ce reportage qui lui prit plusieurs années à mener à bien. Magistral, édifiant, nécessaire, cet ouvrage de 260 et quelques pages se lit en plusieurs fois tant il est dense en informations. Joe Sacco y rencontre de nombreux représentants, femmes, hommes, jeunes, vieux, essentiellement issus du peuple Dene, mais aussi des Blancs. Ils parlent de la situations de ces peuples face à la colonisation des Blancs. Pendant longtemps, les peuples indigènes du Grand Nord, vivant sur des terres non propices à la colonisation agricole, restèrent livrés à eux-mêmes, jusqu'à ce que la découverte de pétrole et d'or incite le gouvernement à officialiser son autorité sur eux, comme sur leurs terres. A cette période, les autorités s'appropriaient les territoires, non plus par les massacres, mais cliniquement, méthodiquement, et de façon administrative - grâce à des traités. Depuis, l'alcool, les expropriations, l'exploitation du sous-sol, la politique abominable d'acculturation des enfants dans les institutions où ils étaient obligés d'aller (beaucoup y sont morts, la majorité y a été maltraité, violé etc...tout cela sous l'égide bien sûr des églises, catholiques et protestantes).
Ce qui est vraiment passionnant, c'est que Joe Sacco donne la parole à tous les points de vue, et montre que loin d'être unis, les autochtones sont largement divisés. Chacun tente d'obtenir le meilleur, et a sa propre façon de voir les choses. Surtout, il nous montre à quel point la colonisation et la volonté systématique de détruire le mode de vie et la culture autochtone ont laissé les Dene dans une situation intenable: le socle de leur culture a été fragilisé (euphémisme), mais on les empêche de pleinement vivre dans le monde capitaliste. Difficile au départ d'approuver le choix de certains chefs de participer à l'exploitation des pétroles et autres gaz de schiste, mais en même temps, quel autre choix? (Et on peut comprendre qu'ils ne veuillent plus vivre comme avant, à traquer le gibier dans la forêt par -40°.) Drogue, violence, chômage. La totale.
Je ne vais pas m'étendre, il y aurait tant à dire. Cette lecture arrive juste après le visionnage sur Arte d'un documentaire qui m'a retournée: Tuer l'indien, qui évoque justement ces fameux instituts où étaient envoyés (emprisonnés) ces enfants. Après ce documentaire et la lecture de Payer la terre, je regarde vraiment différemment le Canada. J'en avais une impression de type: sont très sympas, beaucoup plus relax que les Américains etc, mais en fait, je me rends compte qu'ils ont été tout aussi abominables envers les peuples autochtones. Qui y sont, tout comme aux Etats-Unis, des citoyens de seconde voire de troisième zone.
Bref. Tout ça pour dire que Payer la terre est à lire absolument!