
Référence au célèbre film On achève bien les chevaux de Sidney Pollack, inspiré d'un roman des années 1930, On achève bien les gros est le témoignage de Gabrielle Deydier, autrice d'On ne naît pas grosse, sur la situation des personnes souffrant d'obésité en France.
Je trouve le titre parfaitement bien choisi, tant la violence de ce que subissent ces personnes est importante. Une violence que l'on ne soupçonne pas si l'on n'est pas obèse. Même si, en tant que femme, on subit les injonctions à la minceur (maigreur) à longueur de journée. J'ai moi-même été persuadée, étant ado et jeune adulte d'être grosse, alors même que je pesais à peine 47 kg (vive la dysmorphophobie!). Combien d'entre nous se sont regardé(e)s avec un certain dégoût, en se disant que tout ce gras devrait dégager?
Gabrielle Deydier est fort bien placée pour parler du sujet, étant elle même grosse. Un terme auquel elle souhaite retirer son impact insultant. Pour elle, être grosse est un fait. Après de nombreuses années de lutte, elle fait la paix avec son corps. Attention, elle ne dit pas qu'elle l'aime, ou qu'elle ne préfèrerait pas avoir des kilos en moins. On n'est pas du tout dans un récit militant au sens "je revendique mon corps, je l'aime comme il est" etc.
Dans On achève bien les gros, Gabrielle Deydier nous raconte l'engrenage terrible qui l'a menée à peser près de 125kg. Elle le décrit avec humour ("je mesure une Kylie Minogue, j'en pèse trois"), avec sensibilité et intelligence. Elle se souvient comment tout a débuté: des parents obsédés par le poids, un médecin qui lui prescrit à 16 ans un régime drastique (objectif moins 20kg, elle en pèse alors 65 pour 1m54) et un traitement hormonal. De là, en 3 mois, alors qu'elle souhaitait perdre quelques kilos avant la rentrée en classe de 1ère, elle se retrouve avec 30 kilos de plus sur la balance et plein de soucis de peau....en à peine 3 mois!
Déscolarisation (le récit de cette année de 1ère est hallucinant de violence, de la part des élèves mais aussi du corps enseignant), désocialisation, Gabrielle Deydier a traversé un longue période très difficile, où la pensée de suicide est présente, où son rapport à la satiété et à la nourriture ont été complètement détruits.
On achève bien les gros nous parle franchement et sans fard de toutes les discriminations que subissent les personnes obèses: 8 fois moins de chance d'obtenir un emploi pour une femme obèse par rapport à une mince, salaire 20% moins élevé à poste et diplôme égaux, harcèlement sur le lieux de travail. Mais aussi invisibilisation dans l'espace public, qui vient de ce qu'il n'est pas pensé pour eux: sièges trop petits dans les avions, les salles de ciné ou de spectacle etc. Et en effet, je me suis fait la réflexion en écoutant son documentaire: je n'ai jamais vu au ciné de personnes obèse.
Mais, avec beaucoup de volonté, des rencontres, et l'écriture, Gabrielle Deydier s'approche de plus en plus d'une forme de sérénité. Même si l'on sent que la douleur n'est jamais loin. Elle est en écriture d'un roman, Metabo, où les gros sont légalement discriminés, pourchassés, et opérés de force si ils ne maigrissent pas. Dans le documentaire, elle en lit des passages, et certaines scènes sont jouées par des acteurs/actrices.
Je m'arrête là, j'ai fait un peu long.
On achève bien les gros est un documentaire poignant, d'une magnifique sincérité, qui révèle une réalité que je n'imaginais pas. A voir sur Arte jusqu'au 16 août.
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