
Fille de Républicains espagnols réfugiés dans le sud de la France après la Retirada, Lydie Salvayre, que je n'avais jusqu'ici jamais lue, a un parcours riche. Elle grandit dans un village non loin de Toulouse, fait des études de littérature et après une licence, s'engage dans la médecine. Elle devient psychiatre et par la suite, se met à écrire dans les années 1980.
Pas pleurer est un texte métissé, où elle met en scène sa mère Montse et l'écrivain Georges Bernanos. J'avais ce livre dans ma pal depuis deux ans, et c'est après avoir lu Le front dans l'azur d'H. Legrais que je l'ai sorti. Bien m'en a pris.
Pas pleurer a reçu le prix Goncourt en 2014. Dans ce court texte de 221 pages, Lydie Salvayre, dans une langue elle aussi métissée, un français "outragé", mâtiné d'espagnol, emprunté à sa mère ("Il s’est dédiqué à son rêve avec toute sa juventud et toute sa candeur, il s’est lancé comme un cheval fou dans un plan qui ne voulait rien d’autre qu’un monde beau. Ne te ris pas, il y en avait beaucoup comme lui à l’époque, les circonstances le permittaient sans doute, et ce plan il l’a défendu sans calcul ni pensée-arrière, je te dis sans l’ombrage d’un doute"), elle nous conte les quelques années de la guerre d'Espagne telles que Montse s'en souvient.
L'été inoubliable, plein de promesses et enchanté de 1936, puis la chute, le drame. Le frère de Monste, José, est anarchiste, enthousiaste, fervent même. Têtu aussi. Dans le village, Diego, le fils de la grande Famille, des propriétaires terriens, les Burgos, est communiste. La confrontation sera inévitable. "Un village autarcique et étroit oú l' autorité des anciens est aussi intouchable que la fortune des Burgos, oú la destinée de chacun est notifiée dès sa naissance, et où rien jamais n'arrive qui lève un peu d'espoir , un peu de souffle, un peu de vie."
Parallèlement, Lydie Salvayre nous fait suivre le désenchantement, le dégoût de Georges Bernanos, fervent catholique et monarchiste, proche de l'Action française. Il témoignera dans un journal dominicain français des horreurs perpétrées par les phalangistes et nationalistes, bénis par l'Eglise. Il en sortira également un livre: Les grands cimetières sous la lune, que Salvayre cite souvent.
A travers ces deux récits croisés, Lydie Salvayre démontre ô combien la sauvagerie d'une lutte fratricide, des villages, des familles, un pays qui s'entredéchirent. Elle montre les espoirs éperdus, soudains, et tout aussi soudainement douchés, écrasés sous les bottes de la réalité humaine. On sent la psychiatre quand elle nous plonge dans la psyché de ses personnages, les mécanismes familiaux, les traumatismes ou les modes de pensées profondément, irrémédiablement ancrés ("José marmonne entre ses dents que de toutes les oppressions qui existent, celle infligée par les mères est la pire de toutes. La plus universelle. La plus insidieuse. La plus efficace. La plus despotique. Et celle qui nous prépare lentement mais sûrement à encaisser toutes les autres.")
Les deux récits fonctionnent en miroir l'un de l'autre, tous deux parlent d'intime (la chair, l'intime conviction) et d'universel face à cette guerre civile. " Ce soir, je l’écoute encore remuer les cendres de sa jeunesse perdue et je vois son visage s’animer, comme si toute sa joie de vivre s’était ramassée dans ces quelques jours de l’été 36… Je l’écoute me dire ses souvenirs que la lecture parallèle que je fais des « grands cimetières sous la lune » de Bernanos assombrit et complète".
J'ai beaucoup aimé le style de Lydie Salvayre, l'humour qu'elle déploie aussi, malgré tout. On sent tout l'amour qu'elle a pour sa mère, qu'elle découvre jeune et enthousiaste.
En aparté: elle cite l'écrivain de Unamuno et son célèbre discours à Salamanque face aux phalangistes, récemment illustré au cinéma dans Lettre à Franco d'Amenabar.
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